[I.1 - Q.3] La bataille des traîtres

La guerre avait le curieux pouvoir de faire naître des alliances improbables qui ne devaient durer qu’un temps. Ce fut le cas cette nuit avec le druide qui s’était mis sur la route de Skadi et Juan. Plus fou encore, il n’était pas venu contrecarrer leur plan. Dans le fond, il semblait avoir compris que le meilleur moyen de sauver le plus de monde possible était de laisser Nilfgaard marcher sur la cité sans opposer plus de résistance. Dans la nuit bien des soldats en faction étaient ainsi tomber malade, au point que l’aurore venu, les remparts avaient grande peine à se voir parcouru par leurs protecteurs.

Les premiers rayons du soleil avaient révélé le plan funeste de l’armée du Sud qui, durant la nuit, avait installé ses engins de guerre. La tension était palpable et la petite équipe menée pas le capitaine aep Deithdhu accueillait un nouveau membre plutôt insolite. Ils s’étaient rassemblés dans la maison qui leur servait de camp de base pour faire un point sur la situation.

- Gente dame, messieurs, la nuit a été relativement productive, dit-il en regardant la petite assemblée. A présent il reste deux options au commandant de la garnison, se rendre pour éviter un bain de sang ou bien se battre quand-même.

A cette heure il ne savait ce que le commandant allait choisir, mais le travail de sape ayant porté ses fruits, ils n’avaient plus que quelques efforts à fournir pour en voir le bout.

- J’ai envoyé un message pour rendre compte de la situation ici, avec un peu de chance nous devrions avoir rapidement une réponse pour connaître la conduite à tenir, poursuivit-il. Si tout se passe bien il devrait y avoir une extraction de prévu. Mais… Si les choses viennent à mal tourner, on risque de se retrouver sous le feu et nous devrons nous débrouiller.

Adossée contre un mur, le regard sombre et le visage fermé, Skadi ruminait les évènements de la nuit passée. Certes, comme le disait Juan, il ne restait que deux options aux forces de la cité : se rendre ou périr. Néanmoins, la jeune femme savait que malgré la menace de l'armée infernale du Sud et des horreurs qu'on lui attribuait depuis assez longtemps pour faire peur aux femmes et aux gosses, les hommes étaient assez idiots pour vouloir se battre.

- N'oublies pas que dans le Nord, les hommes aiment se battre pour l'honneur. Vous, le peuple infâme du soleil, n'êtes que des envahisseurs venus violer leurs femmes et égorger leurs enfants. Ils sont moins nombreux mais parfois, être trop peu face à l'ennemi donne plus de courage qu'on ne devrait en avoir.

Elle jeta un œil du côté du druide. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il se joigne à eux. La sorceleuse doutait qu'il ne soit là pour autre chose que pour assurer sa survie et garder espoir que peu d’innocents ne meurent pour des rixes entre grands rois. Skadi aimerait pouvoir croire elle aussi à cette idylle d'une ville soumise sans grand massacre, et même si cela restait possible, elle ne pouvait s'y résoudre. Quelque chose lui soufflait que tout ne se passerait pas tout à fait comme Juan le souhaitait. Ne restait plus qu'à espérer qu'elle ait tort, après tout, ce ne serait pas la première fois, ni la dernière.

Il fallait toujours s'attendre au pire, voilà la leçon apprise par Juan avec les années et les guerres. Les meilleurs plans étaient ceux qui laissaient une part à l'improvisation pour se tirer de situations épineuses. Le natif de Nilfgaard le sut lorsqu'il entendu le son sinistre du cors à l'extérieur des remparts. La cité avait refusé de se rendre et à présent elle allait subir le résultat de son audace.

- J'espère que vos lames sont affûtées car de cela dépend à présent notre vie, dit-il en se retournant vers la troupe. Attendons que nos troupes aient franchis les fortifications avant de nous découvrir, nous pourrons nous fondre dans le flot pour disparaître. D'ici là, faisons route vers les égouts.

Le capitaine n'avait pas dit son dernier mot, il comptait bien donner à tout ce petit monde l'occasion de se défendre. Sans plus attendre, avec leurs affublements de marchands, ils se ruèrent au dehors de leur camp de base pour gagner l'entrée des égouts. Les soldats étaient bien trop occupé à guetter l'arrivée de l'ennemi pour prendre attention à une bande de voyageurs en panique. Il lança un regard au druide.

- Tu sais te battre ? demanda-t-il.

Chance n’avait pas attendu la réponse de la magicienne pour ouvrir la porte de la taverne et poser un pied dehors en inspirant une grande goulée d’air frais. Après l’attente interminable qu’ils avaient du endurer, il n’était pas mécontent de respirer autre chose que la transpiration des autres et l’odeur de la bière. Dans les rues il ne voyait personne, mais cela ne voulait pas dire que les soldats avaient abandonné leur poste. Ses yeux scrutèrent l’endroit, cherchant un coin obscur où Matylda pourrait invoquer son portail sans se faire repérer, mais pour l’heure il craignait qu’ils soient trop exposé. Au lieu de retourner à l’intérieur pour attendre, il profita d’un instant de répit … qui ne manqua pas d’être interrompu par un bruit au loin. Le son de la guerre. Le Nilfgaard approchait et les gens coincés dans cette cité n’étaient pas prêts. Cela ne faisait aucun doute qu’un massacre aurait sans doute lieu ici, et Chance ne voulait pas être là pour assister au spectacle. Dans la taverne, il entendait déjà les clients s’agiter et alors qu’il reportait son regard sur les rues, une idée germa dans son esprit.

« Profitons du chaos qui va bientôt régner ici. » Dit-il en revenant vers Matylda. « Personne ne nous verra nous éclipser, et je doute que cette ville n’ait pas d’égouts. Je sais, c’est un endroit répugnant, mais c’est une meilleure alternative à se faire attraper par les soldats et mourir ici comme des rats pris au piège. »

Juan avait arqué un sourcil en écoutant les dires du Druide. Ce personnage était des plus étranges mais l'heure n'était pas vraiment à la palabre, peut-être après lorsque le fer et le feu ne seraient plus une menace au dessus de leurs têtes.

- Ecoute bien le druide, j'ai remplis ma mission avec ce qu'elle comportait comme risques, répondit le Nilfgaardien, il semble que malgré tout la cité ne désir se rendre, je ne puis arborer le soleil du sud entre ces murs tandis que les miennes se portent à l'assaut des remparts. Je n'ai aucun intérêt à perdre la tête maintenant.

Le capitaine ne savait point ce qui avaient poussé les nordiens à livrer bataille malgré tout. Peut-être la folie d'un dirigeant qui préférait précipiter la cité dans les flammes et le sang plutôt que de se rendre. Il avait accompli ce pourquoi il était là, à présent ils devaient sauver leurs peaux. Il était temps de gagner les égouts comme ils en avaient convenu avec les autres...

Avec le temps, on apprenait que tout ne se passait pas comme prévu, et dans la guerre tout était pire encore. Il fallait prendre en compte le hasard et l'imprévu qui avaient une certaine tendance à rendre la vie des soldats bien compliquée.

En écoutant l'échange entre Mab le druide et Juan le soldat, Skadi ne put s'empêcher de ricaner, attirant des regards fort peu amusés sur elle.

- Vous vous entendez, tous les deux ? Il n'y a pas d'issue lorsque les peuples du Nord décident de résister. Il n'y a pas plus déterminé qu'un homme qui n'a plus que le choix entre vivre en esclave ou mourir libre. Toi, le barde, tu penses que la reddition est encore possible, et si tu n'étais pas mon ami, je t'aurais tranché la gorge pour te prouver que le Nilfgaard n'a pas de pitié envers ceux qui osent se dresser contre lui. Quant à toi, l'idiot en armure, tu me semble soudain bien hautain pour un poulet qui s'est égaré dans le terrier des renards. Perdre la tête ? Si ils t'attrapent, ils te feront payer ce que tes hommes ont fait aux villes et villages prises plus au Sud. Peut-être étais-tu déjà trop loin pour entendre les cris immondes que poussaient les femmes et les enfants que les soldats du soleil du Sud agressent à chaque prise d'une ville ?

La sorceleuse s'était redressée, et s'était avancée jusqu'à se retrouver nez à nez avec Juan.

- Tu veux fuir, Juan ? Je savais que le Nilfgaard avait peu d'honneur à revendre, mais je ne pensais pas te voir fuir face à un combat déjà gagné ! Car c'est ce que tu veux faire, n'est-ce pas ? Se faufiler jusqu'aux égouts, la lame brandie, pour ensuite sortir discrètement de la mêlée ? Ne souris pas comme ça, je sais ce que tu penses. Je suis mal placée pour te parler d'honneur ou de lâcheté, je ne suis peut-être pas mieux que toi ... Mais j'ai soif de sang, mon ami. J'irai me battre, quoi qu'il advienne.

Face à une telle insolence, Ahmar leur aurait fait couper la tête. Mais Juan n’était pas Ahmar, pas encore. Au regard de la dissidence qui régnait dans ses rangs, le Capitaine devait faire preuve d’une certaine intransigeance. Skadi et son ami druide n’étaient pas des soldats, ils ne pouvaient comprendre. Quand bien même la native de Skellige avait-elle était une grande guerrière, elle n’était point au fait des subtilités martiales du Sud.

Oui, Juan n’avait pas l’intention de se sacrifier inutilement et encore moins mettre la vie de ses hommes en péril. Les mots de la sorceleuse n’y changeraient rien et à dire vrai – là où autrefois il aurait joué de sa fougue – le Nilfgaardien préférait garder la tête froide et réagir avec la rigueur militaire qui lui avait été inculquée. De la gloire et de l’honneur, il n’y en avait pas et encore moins dans cette bataille courue d’avance.

- Continuez de voir ce qui s’agite sous votre nez, répondit-il en arborant un air froid sans fioriture. Va te battre si le cœur t’en dis, je ne saurais te retenir.

- Mais reviens en vie, avait-il pensé dans sa tête.

Il y avait chez l’homme une apparence aussi résolue que celle qui hantait son esprit. La guerre était loin d’être finie et il avait bien d’autres projets. Mener la bataille n’avait aucun intérêt, du moins pas à ses yeux. Si Skadi voulait répandre le sang, soit, mais le Capitaine avait affaire ailleurs.

- Mais la marche de Nilfgaard n’attend pas.

Elle n’attendait personne et le Nord aurait beau tenter de se soulever… Juan avait sapé les fondations des grands royaumes autant qu’il avait pu, rongeant les liens qui pouvaient exister entre les puissants de ces terres afin qu’ils puissent se lier au vainqueur du Sud. Un travail dont il n’avait jamais parlé à Skadi, dont elle ignorait tout et dont il ne comptait pas lui parler car il ne lui faisait pas confiance à ce point.

Juan fit signe à ses hommes et ils s’engouffrèrent dans les égouts. Leur silhouette ne tarda pas à disparaître dans les ténèbres qui habitaient les lieux.

Il n’y eut aucune réponse de la part de son amie ; aussi prit-il ce manque de réaction pour une approbation. Ils ne feraient pas long feu dans la bataille qui ne tarderait à éclater, et Chance n’était pas assez idiot pour combattre de côté perdant. La fuite fut le choix le plus évident, aussi il ne tarda pas à vérifier qu’il avait bien toutes ses affaires et que Matylda le suivait bien de près. Son regard s’attarda sur l’intérieur de la taverne, sur le visage de ceux qui périraient peut-être aujourd’hui, mais à ceux-là il ne leur accordait qu’une maigre pitié. Lui, il survivrait. Qu’importe les moyens employés.

Il quitta le sillage du bâtiment pour s’aventurer dans les rues de Sodden, délaissées pour la plupart par ses habitants et ses soldats. Chance ne s’en plaindrait pas : il préférait autant qu’on ne lui complique la tâche. La magicienne et lui-même rasaient les murs prudemment en cherchant une entrée aux égouts, ou au moins une manière de s’échapper sans alerter qui que ce soit. « Ouvre les yeux. » Souffla-t-il à celle qui l’accompagnait en vérifiant que personne n’arrivait avant de prendre un tournant. Il ne leur fallut pas longtemps pour trouver ce qu’il cherchait : alors qu’il s’arrêtait à nouveau pour regarder autour de lui, il aperçu un groupe s’engouffrer dans ce qui semblait être l’objet de leur recherches.

« Là ! » Le soulagement le détendit un instant, puis il hésita, incertain qu’il s’agisse de soldats ou d’un groupe cherchant à fuir. Selon l’un ou l’autre, ils pouvaient se retrouver dans une situation bien déplaisante. Mais il en fallait plus pour effrayer Chance. « Dépêchons-nous, en les suivant on pourra peut-être sortir de là en un seul morceau. »

Elle était plantée là, fulminante, à la porte d'un échappatoire puant qui restait sa seule option de sortir d'ici sans dommage, quoi qu'elle veuille faire. Son instinct sanguinaire que la formation de sorceleuse n'avait pas réussi à dompter lui hurlait presque de courir sans se retourner droit vers les combats à venir. D'un autre côté, la minuscule lueur de raison qui arrivait à transparaitre derrière le flot de colère, d'incompréhension et de soif de sang lui soufflait de ne pas faire de vague. Elle avait tué, pour sûr, pas de la façon la plus honorable, mais elle l'avait fait. Elle pouvait entendre le bruit des pas de ses compagnons d'armes s'évanouir un peu plus à chaque instant.

C'est là qu'elle le vit. Ce visage assez familier pour la sortir de la torpeur de ses réflexions. Chance.

Ils n’avaient pas vraiment le temps de trop réfléchir à la marche à suivre, car bientôt les rues seraient envahies de soldats en armures noires, et Chance n’était pas assez fou pour se lancer dans un combat qu’il était à peu près certain de perdre. Alors accompagné de la magicienne, il s’était approché de l’entrée des égouts, jusqu’à apercevoir une silhouette qui se tenait là sans entrer à l’intérieur. D’instinct, Chance avait attrapé la garde de son épée en songeant qu’il s’agissait peut-être d’un soldat posté là pour empêcher les civils de passer, mais au fur et à mesure qu’il se rapprochait, le mercenaire reconnu le visage qui lui faisait face. Ce visage-là, il l’avait vu bien souvent ; le jour d’avant, même ! Pour être tout à fait honnête, il avait oublié qu’ils avaient aperçu Skadi … qui n’avait plus l’air accompagnée, pour ce que cela valait.

« Toi ? » Et en prononçant ce mot, il avait rengainé son épée. Un sourire moqueur se dessina sur son visage fatigué. « Quelle surprise de te trouver là, Skadi. J’en viendrai presque à croire que tu me suis depuis Skellige. » Un coup de coude de la part de Matylda le ramena bien vite aux priorités. « Qu’importe. Il ne fera pas bon rester ici quand le Nilfgaard arrivera. Tu viens ? » Et sur ces mots il avait désigné l’entrée des égouts.

Skadi était désemparée, bien gênée de croiser un tel personnage ici, dans ces conditions. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, Chance lui avait sauvé les miches, comme un prince. Elle qui avait juré de le haïr à tout jamais, elle avait trouvé en lui un ami insoupçonné. Il ne savait vraisemblablement pas dans quel camp elle était à présent, puisqu'il lui proposait de prendre la fuite.

- Ne vas pas croire que je te suis ! C'est ton égo trop imposant qui te souffle de pareilles idioties ? dit-elle, sur un ton goguenard. Je ... Je ne sais pas si je devrais vous suivre, Chance ...

Bien sûr qu'elle savait. Elle pouvait très bien le suivre, c'était une bonne alternative pour éviter d'être prise dans un combat à mort entre le Nilfgaard et l'instinct guerrier des hommes de cette ville du Nord. Elle voulait absolument en faire partie mais c'était du suicide. Après tout, si elle était une guerrière de Skellige, elle n'en arborait pas moins le soleil du Nilfgaard sous sa cape ...

D’une manière bien inexplicable, il était presque soulagé de retrouver Skadi ici. Au moins ne serait-elle pas sur le front, prête à se jeter sur un camp ou l’autre et mourir pour la gloire. Il se souvenait encore de la dernière qu’ils s’étaient vu, alors qu’il voyageait en direction de Novigrad. Des temps bien lointains, lui qui aujourd’hui faisait chemin inverse jusqu’au sud. Mais cela, il le lui raconterait dès qu’ils seraient tous à l’abri du danger.

« Et si tu ne nous suis pas, que comptes-tu faire ? Te battre ? Et contre quel camp exactement ? Le nord … Le Nilfgaard ? » Il se souvenait également l’avoir vu en compagnie de Juan et Chance n’était pas assez idiot pour croire aux coïncidences. « Ce n’est pas la bonne bataille pour mourir coincés comme des rats. Viens avec nous Skadi, tu auras d’autres occasions pour prouver ta valeur. » Il espérait que cela suffise à la convaincre d’entrer dans ces fichus égouts.