les chats de gouttière ne font pas des chiens galeux feat. Brunhild

1^er juillet 1271 ; Wyzima
Le cri d'une mouette sur l'horizon. Oh, attendez, il n'y avait pas de mouettes à Wyzima. Brunhild leva la tête en voyant la silhouette blanche passer au dessus d'elle. C'était un pigeon, énorme. Son regard suivis le vole de l'ovipare jusqu'à le perdre derrière un toit de la ville. A dieu pigeon, nos routes se séparent ici. La magicienne et le pigeon, ce serait sans nul doute devenu le sujet d'une balade, écrite par Maître Jaskier, le Pleutre. Il aurait fini par « et le pigeon lui chia dessus », car il y avait de fortes chances pour qu'il en veuille encore à la magicienne de lui avoir un jour cassé le nez en lui donnant un coup de tête. Il l'avait cherché, ce coureur de jupon, à lui piquer les fesses avec une plume. S'il avait échappé à la claque qu'elle avait voulu lui mettre en premier lieu, il n'avait pas vu venir ce coup de tête magistral que lui avait donné Brunhild. Ce que l'histoire ne disait pas, c'était qu'elle aussi avait eu mal, au dit crâne. Ce n'était pas vraiment dans ses habitudes de fracasser les gens de cette façon. Mais sur l'instant, comme on lui avait toujours dit de se servir de sa tête, c'était littéralement ce qu'elle avait fait.

Heureusement, Jaskier n'était pas là et le pigeon avait été propre. Elle reprit sa marche dans les rues de la capitale de Wyzima. A ce jour, malgré la mort de Foltest, les rues étaient relativement tranquilles, pourtant à l'extérieur des remparts qui protégeaient la cité, il régnait un chaos invisible. Les tentions étaient palpables sans parvenir à les voir. Sauf peut-être lorsque l'on passait devant une guirlande de pendus, sur les branches basses d'un vieux chêne centenaire sur le bord de la grande route. Certains avaient des sacs sur la tête, d'autres non. Des doigts ou des yeux manquant à cause des corbeaux. C'était si beau un corbeau. Dans sa rêverie, encore, Brunhild heurta quelqu'un. Sur l'instant elle ne vit rien, avant de comprendre qu'il s'agissait d'un nain. Elle baissa le regard. A sa surprise, elle découvrit qu'elle l'avait fait renverser un cageot de légumes. Aussitôt elle plaqua une main sur sa bouche, l'air confuse.

- Je suis désolée, vraiment, j'avais l'esprit ailleurs, dit-elle aussitôt avant d'aider à ramasser les quelques légumes à sa porté. Vous allez bien ?

- Bon sang, mais faite…

Le nain posa son regard sur la magicienne, cette dernière se retourna pour regarder derrière elle. Ah non, c'était bien à cause d'elle qu'il s'était tue. Elle regarda sa robe puis le nain.

- Quelque chose ne va pas ? Demanda-t-elle.

- Non, non tout va bien ma dame, répondit le nain en faisant une petite courbette.

Brunhild avait l'impression d'avoir raté quelque chose. Un fruit toujours dans la main, la bouche légèrement entre-ouverte. Elle n'était pas vraiment certaine de comprendre, sincèrement.

- Vous êtes sûr ?

- Je ne voudrais pas offenser une magicienne.

Elle ouvrit grand les yeux. AH ! D'accord ! Elle esquissa un sourire bienveillant avant de poser le fruit dans le cageot. Elle aurait presque envie de le prendre dans les bras pour lui faire une accolade. Ne pas faire de câlins aux inconnus, même si elle adorait les nains, surtout ceux avec un accent de Mahakam. BRUNHILD DE DORNDAL, PAS DE CÂLINS ! Elle lutta contre elle-même pour se retenir.

- Oh mais non ! C'est moi mon brave, c'est de ma faute, dit-elle chaleureusement.

Elle lui posa une main sur l'épaule, malgré tout, pour le rassurer. Gniiih. C'était plus fort qu'elle, il fallait qu'elle touche quand même, avoir un contact physique pour transmettre tout sa bienveillance et sa candeur. Cela semblait néanmoins fonctionner.

- Oh non, vraiment, j'ai cru que j'avais quelque chose sur le visage, dit-elle en riant de sa voix cristalline. Oh, ne me faite plus peur comme ça ! Tenez.

Elle l'aida à ramasser les derniers fruits et légumes de saison qui traînaient encore sur le sol.

- Voilà mon brave, bonne journée, dit-elle avant de reprendre son chemin.

Alors que Brunhild s'en retournait à ses préoccupations – en vérité elle avait oublié pourquoi elle était là maintenant – elle reconnu un visage familier parmi les habitants et les voyageurs qui allaient et venaient dans les rues de Wyzima.

- Skadi ! S'exclama-t-elle en faisant des grands signes à son amie.

D'un pas léger, elle réduise la distance qui ses séparait jusqu'à ce qu'elle pose son regard sur la boule de poils en compagnie de la sorceleuse.

- Hmm, laisses moi deviner… Tu te lances dans la formation de chatons sorceleurs ?

- Tu n’as pas répondu à ma dernière lettre, je croyais que j’étais plus digne d’être ton amie !

- Et tu n'as même pas pensé une minute que j'aurais pu être morte ?! S'exclama la magicienne faussement courroucée.

Il était vrai que depuis le soulève de Thanedd, en 67, beaucoup de ses proches avaient cru qu'elle aussi – tout comme sa maîtresse – avait trépassé avec tant d'autres mages et sorcières. Mais c'était mal connaître la magicienne qui avait une fâcheuse tendance à défier la mort, en s'en tirant avec presque rien, en général. N'était jamais à exclure qu'elle se fasse mal toute seule, ce qui était beaucoup plus envisageable. Aussi elle se contenta de glousser comme une adolescente.

- Non, il est vrai que Brunhild et morte, dans la même phrase, ça n'a pas de sens, termina la magicienne.

- Je me demande ce que je vais pouvoir vraiment en faire de cette chose. Un chat avec un sorceleur, ça n’a pas de sens, c’en est presque étrange. Et puis, qui va me prendre au sérieux si il me suit ? Avant de se pencher vers le chat et d'ajouter, tu serais pas un doppler toi ? Tu vas pas essayer de me tuer, hein ?

- Oh, si tu veux je peux lui lancer un sortilège d'agrandissement, comme ça il ressemblera à un de ses chats énormes que l'on voit en Zerikania, proposa-t-elle l'air de rien. Il paraît que ce sont des chasseurs redoutables.

Elle haussa les épaules, elle n'avait jamais vu pareille créature. Néanmoins, elle avait déjà vu ces cheveux à rayures dont certains marchands parlaient. De son point de vue, il ressemblait plutôt à des mulets blanc et noir. Enfin… Elle n'était pas zoologue. Mais elle se demandait si un doppler pouvait prendre une forme animale ? Cela ne la surprendrait pas vraiment. Si un jour elle en trouve un, elle lui posera la question. Enfin si elle ne l'oubliait pas d'ici là.

- Que dirais-tu de fêter nos retrouvailles autour d’un bon breuvage ?

- Oh avec plaisir ! Dit-elle en tapant légèrement dans ses mains avant de donner une tape sur l'épaule de la sorceleuse à la manière des guerriers.

Comme toujours, elle se fit mal, mais depuis le temps elle le savait. Pourtant elle continuait de le faire. Avec une maladresse qui avait quelque chose de très enfantin venant d'elle. Elle regarda autour d'elle pour voir s'il n'y avait pas une taverne ou une auberge. Rien en vu à cette heure. Forcément ! Elles étaient dans le quartier marchand… Brunhild attrapa son amie par le poignet et, mue par une volonté farouche de leur trouver le lieu idéal, elle l’entraîna à l'aventure dans les rues, coupant par le quartier des non-humains pour rejoindre la rue qui menait au temple de Melitele. Il y avait sûrement une taverne par là-bas. La magicienne esquiva un nain, cette fois elle l'avait vu ! Peste soit de… Elle s'arrêta aussi sec tandis qu'un groupe d'oies domestiques traversait la voie.

- Mes dames, je vous en prie, dit-elle en invitant les oies à passer, ces dernières semblèrent d'ailleurs la remercier en hochant plusieurs fois la tête.

Brunhild se posait une question, est-ce qu'ils étaient naturellement nés avec une sale tête ? Si tel était le cas, alors elle était bien navrée pour eux… C'était la première chose que la magicienne pensa en regardant la faune qui habitait dans cette caverne... euh, taverne. On pouvait dire qu'ils y habitaient, littéralement, du moins cela aurait fait du sens puisque certains semblaient bien accrochés au banc sur lequel ils devaient être assis depuis un moment. Toutefois, elle préféra garder cette réflexion pour elle plutôt que de la partager avec son amie présente.

Assise elle aussi, la magicienne observa Skadi et son nouvel ami. Elle eut un sourire en le voyant se rouler en boule sur les jambes de la jeune sorceleuse. C'était parfaitement a-do-ra-ble ! Chose qu'elle se garda encore de dire pour ne pas que la native de Skellige ait l'impression d'avoir encore perdu en matière de crédibilité guerrière. Si elle le lui demandait, Brunhild pouvait véritablement faire grandir ce chat, et là il deviendrait un compagnon très intéressant pour la chasse aux monstres ! Après tout, avec de tels réflexes ! Un chat était naturellement plus doué qu'un sorceleur de l'ancien temps. On pourrait, par la suite, écrire de merveilleuses balades sur la sorceleuse et le chat géant. Ce serait merveilleux !

Enfin, là n'était pas la conversation. Skadi venait de rebondir sur le fait que si la magicienne avait été tué, elle aurait certainement joué le bouffon pendant plusieurs années. Ce n'était pas déjà ce qu'elle faisait en temps normal ? La question était sincère. Elle préféra néanmoins répondre à la question qui suivit. Qu'est-ce qui l'amenait à Wyzima ? Oh, c'est vrai ça, avant de heurter ce pauvre nain, elle était là pour une bonne raison ! Sa maîtresse avait raison, elle avait la capacité d'attention d'un chevreau. Mais puisqu'on vous dit que c'était mignon un chevreau ! Mince alors… Un petit chevreau qui gambade et saute partout, avec sa petite bouille mignonne qui vous regardait avec une innocence profonde dans ses prunelles naïves. Bon sang Brunhild ! Un peu de concentration !

- Oh, et bien j'étais venue chercher d'anciens livres que ma maîtresse avait laissé à son domicile, répondit-elle, elle devait me les léguer. Malheureusement, tu connais l'histoire, elle a été tué pendant le Soulèvement de Thanedd, par des mages partisans du Nilfgaard.

La magicienne poussa un soupire, ce fut là encore un bien triste jour pour elle à cette époque. Quelques mois plus tard elle perdait encore quelques amis. Maudite guerre… Elle avait toujours eu cela en horreur et plus encore aujourd'hui.

- C'est certainement la dernière chose qu'il me reste d'elle. C'était une grande magicienne tu sais, un peu bizarre, mais une grande magicienne quand même.

Bianca d'Este avait toujours eu ses particularités, qui la rendaient à la fois unique et insaisissable. Aujourd'hui, elle était plus que jamais insaisissable pour la magicienne. Enfin, là était la vie. Brunhild leva le coude pour boire à sa santé, une bien mauvaise bière cela dit en passant. Mais pour elle tous les alcools étaient mauvais, par le simple fait qu'elle n'aimait pas ça.

- Et toi ? Tu es sur la piste d'un nouveau contrat ? Demanda-t-elle.

Le regard de la magicienne était tombé sur le chat lové sur les jambes de son ami. Ils étaient si mignons à voir ces deux là, c'était parfaitement a-do-rable. Son éternel sourire espiègle était peint sur ses lèvres, il était impossible à enlever, à moins d'un chaos imminent. Et il était vrai qu'en la présence de Skadi, le chaos avait un peu trop tendance à arriver. A dire vrai, les deux femmes, une fois dans la même pièce, avaient tendance à déclencher des catastrophes. D'aucun dirait qu'il s'agissait du fruit du hasard, d'autres qu'elles s'apportaient mutuellement la poisse, mais que surtout… Surtout ! Elles n'apprenaient pas de leurs erreurs. Deux enfants promptes à faire des bêtises en somme.

Ce qui ne l'empêchait nullement d'écouter la réponse de son amie à propos des contrats. Ainsi donc elle se retrouvait à faire vache maigre. Les temps étaient difficiles pour tout le monde, même pour les sorceleurs, et dans le cas présent, les sorceleuses. Ha ha sorceleuse… Brunhild n'aurait jamais pensé employer ce mot un jour. Les temps étaient entrain de changer, même si c'était à prévoir qu'un jour, il n'y aurait plus un seul sorceleur pour protéger les hommes des monstres. Et ce jour là, il faudrait trouver d'autres professionnels pour sauver les Hommes de leur propre monstruosité.

Brunhild n'avait même pas eut le temps de toucher à sa boisson que Skadi finissait la sienne d'une traite. Oh… Hein ? Elle n'avait pas tout suivis, son esprit s'était perdu entre temps. Ah !

- Oh, avec plaisir écoutes, répondit-elle, après tout ce n'est pas comme si tu avais un monstre sur le feu.

Elle gloussa en étouffant son rire derrière sa main. Il ne fallait pas qu'elle se mette à éclater de rire comme elle le faisait habituellement, du moins pas dans cet endroit. C'était encore un coup à attirer l'attention sur elles et… Et en faite la magicienne n'en avait pas l'envie. Non, en faite, le premier qui ouvre la bouche pour lui faire la moindre remarque, elle lui lancerait sa choppe pleine dans la face. Oups, pourquoi elle était entrain de s'emporter ? Il n'y avait pas de raison. Brunhild redevint calme et se leva.

- Allons-y, avant que je n'oublie où elle habite, fit-elle car elle n'était pas venue très souvent à Wyzima chez sa maîtresse.

Elle lâcha quelque pièce pour payer leurs consommations et la voilà qui filait déjà au dehors, pour n'être plus qu'un souvenir fugace aux yeux des clients de la taverne. Ah, il faudrait qu'elle se souvienne de ne jamais revenir ici de sitôt. Jamais. Dans la rue, elle fit quelques pas, regardait à droite puis à gauche. Bien, dans quel quartier se trouvait l'habitation ? Ce n'était pas dans ce quartier ci, c'était chose certaine.

- C'est par où le nord déjà ? Demanda-t-elle à sa comparse. Ah oui, le soleil. De mémoire, ça doit être dans le quartier bourgeois.

Elle scruta le ciel pour voir où se trouvait l'astre solaire. Pour une fois il ne s'agissait pas de s'orienter en forêt en cherchant le nord. La dernière fois qu'elle avait tenté de faire cela, elle avait tourné en rond sur Skellige… Plus jamais. Vraiment...

Son regard s'était perdu sur la contemplation des façade du quartier bourgeois, lui confirmant ainsi qu'elle était venue ici il y a bien trop longtemps et une seule fois. Elle connaissait Wyzima, mais elle passait déjà le plus clair de son temps à jouer les mémoires pour les autres que, parfois, la sienne lui jouait de tour. Et puis elle avait soixante douze ans, est-ce que les gens se rendaient compte de ce que cela pouvait signifier ? Elle avait tant de choses à retenir qu'une vie et une tête n'y suffisait pas. Pourtant elle était capable de réciter par cœur certains passages de texte qu'elle avait appris durant sa première année à Aretuza. Le cerveau était un organe fascinant.

Des enfants passèrent en courant entre la sorceleuse et la magicienne. Ils riaient joyeusement en jouant avec des rubans de couleurs, s'amusant à les faire voler dans les airs ou faire quelques figures hypnotiques. Brunhild avait laissé tomber son regard sur eux pour les observer, esquissa un sourire ravis à leur passage. Cela lui rappelait l'un de ses séjours à Beauclair, cette ribambelle d'enfants des rues qui avait passé sa journée à la suivre dans les rues et ruelles de la ville, jusqu'au soir, où il n'y eu plus qu'elle et une fillette que personne ne semblait chercher. Un peu plus loin, une placette sur laquelle jouait des musiciens. En voyait tout cela, il était difficile de croire que le royaume était entrain de vivre des heures sombres. La capitale se portait bien mieux que le reste des provinces avoisinantes. Mais, Brunhild n'était pas dupe, elle savait bien qu'il ne s'agissait là que d'apparences.

Aussi, elle se tourna vers Skadi avant de se diriger vers la placette, cela lui donnerait une meilleure idée du chemin à prendre. La douce fit quelques pas avec les enfants pour jouer avec eux puis arriva au centre de la place, observant à nouveau les façades. Enfin, ses yeux tombèrent sur le haut portail de bois qui fermait l'accès à un jardin clos.

- Suis-moi, c'est là, fit-elle à l'attention de son amie.

Sitôt, la brune arriva en quelques foulés devant la porte d'accès. Cette dernière était verrouillée mais elle en avait la clé. Quelques tours et la porte était ouverte. Elle invita Skadi à entrer avant de refermer la porte sur elles. Au moins elles étaient tranquille. Brunhild posa son regard sur le jardin à l'abandon. Les fleurs se mêlaient aux mauvaises herbes qui avaient poussé entre les pavés. Les oiseaux chantaient à tue-tête sur les branches basse d'un pommier. Une parenthèse champêtre au cœur de la capitale de Temeria.

La maison semblait en bon état, sans trace de pillage quelconque. C'était plutôt bon signe. Là encore, la porte d'entrée était verrouillée et une fois de plus, Brunhild avait la clé. Bianca avait pensé à tout en léguant son troussant à la magicienne. A croire qu'elle avait senti le vent tourner, alors même qu'elle n'avait jamais été du côté des traîtres ou des loyalistes.

- Et s'il te plaît, ne touche à rien, même l'objet le plus insignifiant pourrait nous envoyer dans un autre lieu, précisa-t-elle. Et autant se retrouver dans des bain public ça ne me gêne pas, autant se retrouver dans des ruines elfiques avec un golem… j'ai déjà donné.

Y avait-il quelque chose d'étonnant à constater que Skadi était déjà entrain de toucher aux objets présent dans la maison de la magicienne décédée ? Brunhild poussa un soupire. Décidément, la sorceleuse n'avait pas ses main dans les poches, au grand dam de la brune. C'était sûr et certain, elles allaient encore au devant des ennuis. Mais d'où allait-il provenir ? Ça c'était une toute autre question à laquelle elles sauraient rapidement répondre.

Tandis que la magicienne sortait le papier sur lequel était noté ses lègues, son amie tentait de faire entrer un peu la lumière dans la pièce du rez-de-chaussé. Le plus simple aurait sans doute été de tirer les rideaux mais… Brunhild n'était pas certain de comprendre toute la logique de la native de Skellige. Enfin, tant qu'elle ne faisait rien brûler, cela devrait aller.

- Qu’est-ce que ça veut dire ce truc ? Demanda-t-elle en brandissant un papier sous le nez de la douce.

Cette dernière le pris pour mieux voir, l'approchant un peu d'une bougie pour être sûr. Sans trop réfléchir, elle récita les mots à voix haute pour être sûr de ce qu'ils pouvaient bien signifié. Il y eu un comme un coup de tonnerre, une lueur vive et à nouveau un lieu sombre. Brunhild releva la tête, se demandait ce qui avait soufflé les bougies, mais elle constata bien rapidement qu'elles n'étaient plus dans la maison de Wyzima.

- Oh Skadi ! S'exclama-t-elle comme s'il s'agissait d'une expression de surprise. Mortecouilles ! Ajouta-t-elle et cette fois il s'agissait bien d'une expression de surprise, quoi que plutôt grossière de sa part. Je te préviens, s'il y a encore un endriague, je te le ferais exploser à la face !

La magicienne laissa échapper une sphère de lumière pour leur permettre d'éclairer l'endroit au mieux. Son regard balaya les parois de pierre qui les entouraient. C'était un mélange d'architecture et de roche naturelle, sans doute elfique, ou humain. Mais plutôt elfique à bien y repenser. Elle laissa ses doigts parcourir la surface des pierres de tailles, comme elle l'avait fait autrefois dans les ruines elfiques de Flotsam. Néanmoins, elle n'était point à Flotsam et elle n'était pas en compagnie de Joachim pour leur première rencontre. C'était toujours ça de pris.

- J'espère que t'es contente de toi, je t'avais enjoins de ne rien toucher ! Ils vous mettent quoi dans le crâne à l'école du griffon ? J'ai connu un sorceleur qui avait bien plus de jugeote que toi.

Il allait s'en dire que Skadi était aussi beaucoup plus jeune que la plus part des sorceleurs qu'elle avait déjà côtoyé par le passé. En cela elle était excusable, mais Brunhild n'en dirait mot, après tout, cela faisait parti de ce que l'on appelait l'expérience. Même si dans le cas présent elle aurait bien voulu ne pas en faire parti… Son regard se posa sur le sol pour voir s'il n'y avait pas traces de quelconques indications magique qui pouvaient signifier qu'elles pouvaient faire demi-tour prestement sans chercher à explorer les lieux… Et surtout prendre le couloir qu'il y avait en face d'elles. Hélas rien.

- On va devoir avancer...

Certes les autres sorceleurs étaient sans nul doute dotés de bien plus de bon sens que ne le serai sûrement jamais Skadi, mais pour sa défense, la jeune femme trainait derrière elle son passé de guerrière. Comment expliquer à son amie qu’à cause de cela, elle ne pouvait s’empêcher parfois d’être une brute finie ? Une brise légère, presque infime, venant de derrière les deux demoiselles suggérait qu’une sortie devait se situer au bout de ce couloir. Plus le choix de s’y engager à présent. Skadi prit donc la tête de cette exploration improvisée.

Des couloirs sombres qui se succèdent sans rien pour les différencier, rien de mieux pour se perdre … Cela faisait bientôt deux heures qu’elles cherchaient la sortie et celle-ci restait introuvable. La sorceleuse faisait de son mieux pour garder son calme mais leur aventure commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs. Son amie magicienne n’avait donc pas une astuce dans son sac pour les aider à s’orienter ? Néanmoins, la brise s’était intensifiée et l’issue tant espérée ne devait plus être très loin.

En effet, elles débouchèrent soudain dans une grotte si immense que l’on n’en voyait même pas le plafond, perdu dans les ténèbres. Le fond de l’air était humide et un bruit d’eau indiquait sans nulle doute la présence d’un ruisseau dans le coin. Tandis que la magicienne et la sorceleuse commençaient à se séparer pour continuer leurs recherches d’une potentielle issue, un frisson parcouru cette dernière. Son instinct s’était réveillé et lui soufflait qu’elle ferait mieux de rester sur ses gardes.

« Ne reste pas trop loin de moi, Brunhild, cette grotte, je ne la sens pas. »

Elle ne croyait pas si bien dire, car un grognement s’éleva des ténèbres, résonnant dans la grotte comme dans une cathédrale. Quand Skadi dégaina son épée d’argent, elle était prête à en découdre. La journée prenait une tournure bien moins idyllique que ce que la sorceleuse aurait souhaité, et ça suffisait amplement à la plonger dans une colère sanglante.

Craignez, craignez, la fille du vent salée, tels furent ces derniers mots.

L'ambiance était lugubre, froide, désagréable au possible. Tout cela était pour lui rappeler une certaine mésaventure à une époque où Skadi n'était même pas encore née. Du moins c'était fortement possible, Brunhild n'avait pas fait le calcule dans sa tête. La magicienne avait suivis son amie dans ce dédale des couloirs plus incertains les uns que les autres. A plusieurs reprises, elle poussa un soupire, ce rappelant du moment où elle avait dit à la sorceleuse de ne rien toucher. Ce moment aussi où elles s'étaient retrouvées toute les deux à passer au travers de ce portail. C'était un peu comme si la native de l'archipel de Skellige avait fait un pas avant de passer à travers le planché d'un grenier. Elle avait marché sur la seule planche sur laquelle il ne fallait pas posé le pied. C'était du Skadi tout craché. Mais c'était son amie, alors elle n'allait pas l'abandonner sous prétexte qu'elles avaient joué de malchance et que cette journée était forcément vouée à être mauvaise.

Oh oui, mauvaise, et cela semblait être un bien piètre mot. Mais à cet heure, la magicienne n'avait pas envie de jouer au jeu des synonymes pour trouver un autre qualificatif plus approprié pour la situation présente. Il suffisait de regarder où elles étaient tombées pour le comprendre. Énième soupire au moment ou Skadi prit la parole pour la mettre en garde. Brunhild priait Freya et Melitele pour que ce ne soit pas un golem. Pitié pas un golem, faite que ce ne soit pas un golem, ni un élémentaire quelconque…

Ne tarda pas à s'élever un grondement inquiétant qui ne manqua pas de faire se figer la magicienne sur place. Son regard était planté sur la cavité imposante qui se déroulait devant elles. Bon sang, pourquoi son ancienne maîtresse avait décidé de créer un portail qui menait vers un endroit pareil ? Y avait-elle un laboratoire secret ? Dans ce cas là, était-ce vraiment nécessaire d'aller s'enterrer dans un endroit pareil ? Peut-être que dans quelques années la magicienne serait capable de comprendre cet engouement pour les endroits sombres et humides. Mais à ce jour, elle préférait largement la quiétude d'une alcôve dans un palais quelconque dans le duché de Toussaint. Hier encore elle se revoyait aux côtés de Chance sur le rebord de cette fontaine à Beauclair. C'était si loin à présent…

- Tu crois qu'on peut chanter dans un endroit pareil ? C'est comme dans une cathédrale… C'est beau de chanter dans une cathédrale, dit-elle en oubliant presque ce que son amie venait de lui dire quelques instants plus tôt.

« Craignez, craignez, la fille du vent salée, tels furent ses derniers mots.
Il les livra, au gré des alizés, en sombrant de sous les flots. »

Sa voix s'éleva dans la grotte avant qu'elle ne se taisait, profitant d'entendre les dernières notes se perdre et mourir dans le lointain. Aurait-elle dû faire ça ? C'était une question qu'elle ne s'était pas vraiment posé avant de le faire. Un nouveau grondement vint ébranler la paix fébrile du lieu.

Mais … Mais qu’est-ce que sa magicienne d’amie fout ? Si un instant plus tôt, elles avaient quelques chances de passer plus ou moins inaperçues, cette fois, c’était bel et bien fichu. Le sang de Skadi bat dans ses veines avec une intensité folle, et sa prise sur le pommeau de son épée d’argent se raffermit.

« La peste soit de cet endroit maudit ! Je suis peut-être maladroite, mais toi, tu viens de nous fiche dans un sacré pétrin … J’espère que ta magie est efficace, on va en avoir besoin. »

Skadi réfléchit à toute vitesse. L’obscurité, les souterrains … Son oreille se tend, elle distingue plusieurs bruits mouillés de pas devant elle, donc plusieurs créatures. Allez, concentre-toi, petite louve … La voix apaisante de son maitre résonne en elle, tandis qu’elle ferme un instant les yeux en respirant le plus doucement possible. Des nekkers ! Cinq, tout au plus. Sûrement une partie de la meute qui s’est égarée ici, mais cela veut aussi dire qu’il y en a plus ailleurs. Mauvaise nouvelle.

Le grognement des créatures se fait plus nerveux, plus fort. La sorceleuse ouvre les yeux, serre les dents et c’est de sa gorge qu’émerge à présent un grognement sourd, bestial. Lorsqu’elle prend appui pour se ruer vers la source de sa colère soudaine, main en avant, dessinant le signe d’Igni, épée en argent dans son sillage, prête à frapper, elle sait que Brunhild couvrira ses arrières. Enfin, elle l’espère. Après tout, elle ne la laisserait pas tomber dans cette situation. Mais elle n’a plus le temps de se perdre dans ses pensées à présent, car elle voit la silhouette humanoïde et difforme d’un premier nekker qui se dessine dans l’obscurité. Tandis qu’une flamme à peu près satisfaisante lèche les jambes de la créature, elle abat son épée sur elle, visant le creux de l’épaule.

Spoiler:

La lame scintille un instant à la lueur rougeoyante du signe de Skadi, puis se teinte de sang quand elle tranche dans la chair immonde du nekker qui échappe un cri qui se mue en gargouillement tandis qu'il s'effondre au sol. La chance de la sorceleuse l'impressionne, mais elle ne se distrait pas pour autant, car elle sent déjà la présence d'un autre nekker derrière elle. Tandis qu'elle fait volte-face, elle espère que son amie va entrer en jeu. Le nekker s’avère être plus près qu’elle ne l’aurait cru, aussi fait-elle quelques pas en arrière. Elle trébuche sur la dépouille de son premier succès, manquant de s’effondrer.

« Brunhild ! »

Le cri de la sorceleuse résonne sur les parois de la pièce, faisant écho aux grognements qui s’élèvent des ténèbres. Au fond de l’esprit de Skadi, la Noirceur pointe le bout de son nez, ouvre les yeux, baille et s’éveille. La jeune femme sent la haine, la colère, la rage prendre doucement possession de son corps et de son âme. Elle qui a toujours vécu dehors, elle perd vite le contrôle lorsqu’elle est enfermée dans de tels endroits. Serait-ce la peur de ne plus sentir le vent glacial de son île natale fouetter son visage qui fait soudain d’elle une bête enragée ?