Elle avait l'air si paisible, les yeux clos et un léger, un imperceptible sourire aux coins des lèvres. La peau pâle et ridée par les années d'une vie bien remplis. Maria s'était éteinte dans la quiétude de son foyer, entouré par ses enfants et ses petits enfants. Elle était allée rejoindre ses ancêtres, là où les âmes de défunts pouvaient enfin trouver la paix. C'était ce que Brunhild espérait de tout cœur en observant sa petite sœur. Elle se souvenait des jours joyeux de leur enfance, cette période d’innocence où toutes les deux jouaient dans les champs à proximité de Dorndal. Mais ce temps là était à présent révolue. La magicienne allait enterrer la dernière personne qu'elle avait connu du temps de sa jeunesse. Un passé qu'il lui faudrait laisser derrière elle.
Une dernière fois, elle embrassa tendrement le front de Maria pour lui dire au revoir. C'était sans doute la dernière fois qu'elle reviendrait ici. Son regard s'était levé pour regarder la petite famille de sa sœur. Eux aussi, un jour elle allait les enterrer, tandis que la magicienne continuerait de vivre pendant un temps qui lui semblait trop long déjà. Là était le prix à payer pour appartenir au monde de la magie. Elle l'avait accepté, Brunhild le savait et elle avait toujours été lucide à ce propos. Seulement, malgré les années, la douleur de perdre un être cher restait vive. Dans ces moments là, elle était incapable de rire, incapable de trouver le réconfort dans les paroles des autres. C'était son deuil, sa pénitence. Elle se rappelait alors que tout avait une fin, un jour ou l'autre.
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Qu'est-ce que tu regardes comme ça ? S'exclama Brunhild à l'intention d'un colosse de chair.
Le mercenaire avait planté son regard sur la magicienne avec beaucoup trop de culot à son goût. Elle allait lui faire ravaler sa fierté masculine et plus vite qu'une goule au galop. D'un pas décidé, en quelques foulés elle était arrivée à la hauteur de l'homme qui faisait allègrement une tête de plus qu'elle, qui était pourtant bien grande. La belle brune le fixait droit dans les yeux avec une insolence désinvolte. Par tous les dieux, que pouvait compter le continent, elle savait bien que cette brute de Skellige avait suffisamment de force pour la maîtriser avec un bras. La sorcière ne se laissait pas démonter pour autant, elle en avait insulté d'autres qui s'étaient vu roussir les poils de barbe.
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Qu'est-ce qui y a, tu veux t'battre, hein ? Dit-elle avec l'air résolument déterminé à en venir aux mains.
Un sourire s'étira sur la sale trogne du mercenaire. A présent qu'elle pouvait l'observer de plus près, elle pouvait voir les cicatrices qui lui couraient sur le visage et sur la gorge. Brunhild se perdit quelques secondes dans leur contemplation, se demandant par quoi elles avaient bien pu être causé.
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Oh… C'est une morsure d'ours ça ? Non, me dis rien… ça c'est une épée. Non, non, non… Un serpent ? Un gros serpent ? Euh, on a ça ici ?-
Tu me fais rire gamine ! S'exclama l'homme avant de se mettre à rire aux éclats.
Gamine ? Si il savait l'âge qu'elle avait, certainement qu'elle aurait plus à voir en commun avec la grand-mère du mercenaire. Mais… Non pour cette fois elle ne dirait rien, c'était toujours flatteur de se faire traiter de gamine quand on allait sur ses soixante-dix ans. Un grand sourire s'étira sur les lèvres de la magicienne dont le regard était à nouveau plein d'espièglerie, rieur. Brunhild lui donna une tape assez forte sur l'épaule, cachant la douleur qu'elle venait de s'infliger à elle-même en cognant dans l'épaulière de mercenaire.
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Vieille canaille, j'ai cru ne jamais te reconnaître, répondit-elle.
Plus le temps passe et plus tu deviens vieux et moche.-
Venant de toi, je prends sa pour un compliment.L'homme l'attrapa par la taille pour la porter dans ses bras et la faire tourner comme une enfant. Elle éclata d'un rire cristallin et lumineux sous les yeux des autres mercenaires. Bjorn et Brunhild se connaissaient depuis bien plus d'années qu'ils ne voulaient l'admettre. La magicienne avait vu l'évolution de ce qui, à l'époque, n'était qu'un jeune homme maladroit et entêté. Il était devenu pirate puis mercenaire et à présent il arpentait les Royaumes du Nord avec la sagesse d'un ancien et la vigueur d'un homme dans la fleur de l'âge. Pourtant, elle le voyait bien, aux coins des yeux, ces rides qui trahissaient le temps dans le monde des humains. Il avait beau avoir une carrure impressionnante, il n'en restait pas moins qu'elle voyait les ans filer sur son visage au cuir tanné par le sel et les combats.
Elle passa ses bras autour du cou de Bjorn, ne voulant plus lâcher son ami. La magicienne ne voulait plus le quitter, comme si son instinct lui murmurait à l'oreille que c'était la dernière fois qu'elle voyait le natif de Skellige
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Tu reste ? Demanda-elle en le lâchant enfin.
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Tu sais bien que je suis malheureux quand je ne pars pas à l'aventure, répondit-il en lui remettant une mèche de cheveux derrière l'oreille.
Son sourire s'effaça et à nouveau elle remit les bras autour de son cou. Elle avait raison de vouloir qu'il reste, mais elle le connaissait aussi. Bjorn avait trouvé la mort durant la deuxième des guerres du Nord, contre le Nilfgaard. Une perte terrible pour la magicienne, elle l'avait su la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Elle avait pleuré cet ami, elle avait vu son corps s'enflammer pour son dernier voyage, sa dernière aventure vers les dieux de sa culture, Freya l'avait sans doute accueillit auprès d'elle. Mais la vie continuait, elle n'attendait personne. La sorcière s'en était retournée à la Loge des Magiciennes pour courir après de nouveaux buts, de nouvelles chimères. L'histoire devait continuer de s'écrire, aux côtés des grands de ce monde, même si aujourd'hui Brunhild avait plus de raisons encore de se méfier du Nilfgaard, qui, plus d'une fois, il avait arraché des amitiés précieuses.
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