There and Back Again - Mer'yad McBrama

Dans un coin reculé du royaume de Keadwen, à l’ombre des montagnes, là où le brouillard semble enfin se dissiper, apparaissent alors de petits monticules de terre plutôt curieux. Trop rondes pour être naturelles, ces collines laissent parfois échapper un nuage de fumée ou le bêlement de quelques moutons. Les aventuriers qui s’égarent dans la région les connaissent bien, car si la chance est de leur côté, les êtres qui y habitent leur viendront peut-être en aide… Enfin, ça, c’était autrefois. Aujourd’hui, il n’est pas rare que les halfelins se contentent d’être les spectateurs silencieux des malheurs de ce monde. Cela dépend des familles et des traumatismes. Si avant on arborait des couleurs vives sur les portes des trous de hobbit, aujourd’hui on laisse la végétation les recouvrir pour se dérober au regard des intrus. Jouant des caprices du paysage pour loger les fermes et les habitants, les petits êtres vivent à présent bien loin des tracas des humains. Pour cause : un lointain passé où leurs liens étroits avec la culture elfique et la nature les ont mis dans la catégorie des parias. Dans la mémoire des anciens, ce sont les trophées de guerre qui les ont marqués le plus. En effet, les amas d’oreilles pointues étaient beaucoup plus faciles à obtenir en faisant face à des semi-hommes qu’à des guerriers elfiques : l’astuce des lâches pour recevoir gloire et renommée avec un moindre effort.  

Aujourd’hui, alors que les non-humains sont plus tolérés, c’est une vie paisible que celle des Halfelins : vivants de l’agriculture et, parfois, du commerce avec les villages voisins, la majorité ne s’éloigne pas beaucoup de l’endroit qui les a vu naitre. Le sentiment d’appartenance est d’ailleurs très fort dans la famille McBrama dont la coquette maisonnette a vu défiler plusieurs générations d’halfelins. Ainé de la fratrie, Mer’yad a longtemps eu la sensation d’être attaché, voire ligoté, à cette famille nombreuse. Il développa ses muscles ainsi que ses connaissances dans l’entretien de la terre et des animaux pour aider ses parents. Vers l’adolescence, Mer’yad prit même part à la politique de sa communauté à savoir comment allait-on gérer les récoltes pour l’hiver, comment négocier avec les fermiers environnants concernant le bétail, etc. Une vie paisible, sans mystère, sans aventure et sans rencontre marquante… Bref, une vie à saveur terriblement ordinaire. Ainsi les premières années de sa vie se résumèrent à un quotidien doux et sans histoire, ce qui fit de Mer’yad quelqu’un de doux et de sans histoire.

Un jour où, alors qu’il s’était mis en tête d’aller pêcher à la rivière, il y vit une jolie demoiselle. Une jeune bergère qui prenait un moment près de l’eau pour laisser ses bêtes s’abreuver. Mer’yad fut instantanément sous le charme de ses yeux de biche et de ses boucles d’or. Il ne lui adressa pas la parole aussitôt, préférant lui laisser un bouquet de fleurs près du rocher où la belle s’était assise. Il revint à ladite rivière les jours suivants, heureux d’y retrouver l'inconnue à nouveau, mais la timidité le paralysait. Le petit être se contentait alors de mettre des fleurs sur le même rocher. Ensuite, il grimpait dans un arbre et l’observait en silence. L’étrangeté de son comportement ne lui échappait guère, mais il était tétanisé par la peur du rejet – ou pire - qu’elle se moque de lui. Il s’agissait d’une humaine après tout ! Au cours de sa contemplation, Mer’yad remarqua un détail intéressant, c’est-à-dire, l’état lamentable des bottes de la bergère. Il eut alors une merveilleuse idée de présent, un cadeau tel qu’il lui insufflerait le courage nécessaire pour l’aborder et, elle, de lui accorder au moins un sourire.

Mesurant grossièrement la taille de pied de la belle grâce à une emprunte laissée dans la boue, le halfelin se mis à rêvasser de ce possible futur s’il parvenait à concevoir la paire de bottes idéale. Pour les commères, le comportement étrange de l’ainé des McBrama devint un sujet croustillant. En effet, plutôt que de prêter main-forte à ses parents ou de prendre part à la vie du village, Mer’yad se mis à côtoyer des artisans et à lire de plus en plus de livres.  Il s’enferma dans l’atelier d’un de ses voisins et afficha une étrange fascination pour la confection de bottes, de chaussures et autres éléments de cuir. Si la bergère avait allumé une flamme, Mer’yad développa une réelle passion pour la cordonnerie. Les mois passèrent sans qu’il ne le réalise vraiment, un automne pluvieux, un hiver rude et un printemps merveilleux. Dès lors, ses doigts étaient devenus habiles et son talent faisait l’unanimité. Enfin presque. En tant qu'halfelins, ils étaient difficiles pour ses proches de juger de la qualité de ses chausse-pieds puisqu’ils n’en avaient jamais réellement porté de leur vie. Ainsi, Mer’yad se tourna vers les fermiers aux alentours, ceux qui avaient su gagner la confiance du petit peuple par le commerce. Il recueillit alors les avis jusqu’à ce qu’il fut satisfait des commentaires reçus et, un jour ensoleillé d’été, il retourna à la rivière avec une paire de bottes neuves. Il attendit et attendit encore, guidé par une confiance issue de son dur labeur que sa jolie bergère, celle avec laquelle il s’était imaginé toute une aventure sans même ne lui avoir jamais adressé la parole, veuille bien se montrer. Alors que les jours devenaient des semaines, le semi-homme décida enfin de partir à sa recherche.

Tisser des liens et prendre contact avec le monde des hommes furent des choses plus faciles qu’il ne l’avait soupçonné. Mer’yad aimait connaitre l’opinion de ces êtres très différents de ses semblables. Ils n’étaient pas parfaits, mais le hobbit partageait leur curiosité et leur soif d’apprendre, des traits moins présents chez les halfelins. Aussi, lorsqu’il apprit que la belle bergère avait été mariée au fils du forgeron plusieurs mois auparavant, il choisit de ne pas retourner se terrer dans sa commune, mais plutôt de découvrir cet univers qui grandissait parallèlement au sien depuis bien des siècles. Quittant la cellule familiale et le village à l’ombre des montagnes, Mer’yad se mis à fréquenter les auberges et les tavernes. Au cours d’une partie de cartes durant laquelle Mer’yad remporta une petite somme, il fit la connaissance d’un autre cordonnier qui voulut bien le prendre comme apprenti en échange du paiement de sa dette. Rapidement, les deux êtres finirent par se lier d’une sincère amitié. Le petit être travailla dur et suivit les enseignements du cordonnier avec attention, si bien que la finesse de ses créations dépassa celle de son maitre. Heureusement, le cordonnier ne fut pas jaloux, au contraire, il décida de faire profit des talents de son apprenti. Les chaussures et les bottes de Mer’yad détonnaient des autres, car ses petites mains semblaient capables de produire les plus fins détails et motifs. Avec le temps, il se diversifia : ceinture, fourreau, gants, etc. Ses initiales d’artisan se retrouvèrent de plus en plus souvent sur des commandes de plus en plus précieuses. Il travailla ainsi quelques années dans la boutique de ce gentilhomme, accumulant doucement une petite fortune qui servirait à son futur. Quel futur ? C’est une chose qu’il se demandait souvent alors qu’il fumait la pipe sur le perron de la petite cabane qu’il louait, le regard tourné vers l’horizon.

Encore une fois, ce fut un élan de son cœur qui le poussa au changement. Une éleveuse de chevaux, brune au regard rieur, qui n’eut pas beaucoup de mal à le convaincre d’acheter une ponette alezane. Elle déclina son invitation à diner et lui, il nomma sa monture Brindille. Il se consola auprès de sa nouvelle amie à quatre pattes qui lui permit de livrer davantage de ses produits sur une plus grande distance. En peu de temps, les sacs de selle devinrent une charrette, puis la charrette devint une caravane. Rien de trop extravagant : rien que la place pour un hamac, des sacs de provisions, une table et la totalité de ses outils. En général, ses créations terminées pendent du plafond et celles qui méritent davantage de soin sont entassées sur le sol. Lorsque Brindille fut dévorée par les loups, Mer’yad se hâta de trouver une autre monture similaire, de peur que l’éleveuse de chevaux ne pense du mal de sa personne s’il venait à la revoir. Ce fut également à cette époque qu’il s’entraina à la fronde et cacha une dague sous le siège conducteur de sa caravane, se sentant toujours coupable de n’avoir pu sauver la ponette. Il ne revit jamais l’éleveuse et, depuis, son cœur s’est rafistolé dans les bras d’autres amourettes de passage. Hélas, Brindille II est la seule qui est encore à ses côtés aujourd’hui. Peu importe, comme disait souvent son ancien maitre : on finit tous par trouver chaussure à son pied ! Cela fait environ deux ans que Mer’yad à pris la route et vit de sa profession de marchand ambulant. Il se considère chanceux de faire ce qu’il aime même si les temps sont étranges et les chemins parfois dangereux. Néanmoins, un client reste un client, peu importe ses allégeances et Mer’yad est du genre à aimer la compagnie. Une chose est sûre, malgré ses angoisses liées à son mode de vie, le halfelin ne retournera jamais se cacher dans un trou.

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