Nous finirons dans l'oubli » solo

Quelque chose de sombre s’annonçait dans le ciel. Le soleil apparaissait en de timides éclaircies derrière l’amoncellement de nuages inquiétants. Le temps était à l’orage dans cette partie là du désert. Qu’importe ce que les dieux prévoyaient, cela n’augurait rien de bon pour les vivants. Les vents faisaient danser le sable chaud tandis que les eaux du fleuve ondulaient sous ce souffle brûlant. Les crocodiles paraissaient presque paisibles allongés sur la rive Ouest. A l’Est la cité continuait de vivre malgré tout. Le brouhaha habituel ne laissait rien présager car les hommes toujours se devaient de survivre. La vie n’aimait pas le vide.

Le pas déambulant, Aya observait tout ce petit monde s’affairer autour d’elle. Boulangers, artisans ou simple habitants, ils étaient là. Les odeurs venaient s’entremêler les unes aux autres non sans quelques fausses notes. Le plus délicieux restait ces effluves de biscuits à la cannelle qui flottaient dans l’air. Dans sa jeunesse elle en avait volé bon nombre pour se remplir la panse qu’elle avait bien vide. Aujourd’hui elle appartenait au temple de Sekhmet et l’on pourvoyait à ce qu’elle n’entre plus dans ses travers de voleuse. Hélas il était déjà temps de rentrer à l’ombre du temple pour suivre les enseignements des prêtres.

- Encore une fois Aya.

La sueur venait perler sur le visage de la jeune fille. Son corps avait de la peine à travailler, à combattre sous cette chaleur qui parvenait à se frayer une chemin malgré les ombres qui s’étiraient sur le sol. Mais elle ne supplierai pas le prêtre d’arrêter pour autant, c’était ce qu’il voulait, qu’elle abandonne. Fier d’un puissant esprit de contradiction, l’apprentie ne voulait pas lui donner raison. Sans doute était-ce aussi par orgueil.

Elle repartie à l’attaque avec une rage non dissimulée mais elle savait que son maître allait en jouer et s’en servir contre elle. Ruse et intelligence, voilà ce qu’il était bon de développer au combat plutôt que la force brute. Au vu du gabarit de la jeune fille, il était certain que la force n’était pas son meilleur atout. Cette fois il allait mordre la poussière, mais elle ne savait pas encore si elle allait jouer dans les règles ou bien user d’une fourberie pour parvenir à ses fins.


Jouer dans les règles, Aya l’avait abandonné en prenant le nom d’Althéa. Honneur, orgueil, chevalerie, bravoure, bien des mots qui poussaient les hommes à se battre, mais le plus souvent les coups bas menaient à la victoire. Installée à la table de cette taverne de Ban Ard, elle observait les étudiants de l’académie s’amuser avec des jeux à boire. Il y avait quelque chose d’assez pathétique dans cette élite magique. C’était comme observer un ensemble de rouages dysfonctionnels que personne ne parvenait à arrêter. Mais cet après-midi elle était chargée d’enlever l’un de ses rouages, une goutte d’eau, rien de plus.

- Pitié, si c’est de l’argent que vous voulez prenez tout, sanglotait l’étudiant.

Coincé dans une ruelle non loin de la taverne, il puait la pisse et l’alcool à pleine nez. Voilà qui augurait la découverte d’un cadavre odorant. A genoux, dos au mur, l’ombre d’Althéa se dessinait sur lui comme un rapace prêt à fondre sur sa proie depuis le ciel. De cet inconnu, elle ne voulait rien, encore moins son or. Le destin avait seulement décidé qu’il n’avait pas sa place dans ce monde. Depuis qu’elle était devenue assassin, la native de Zerricanie ne cherchait même plus à trouver les mots pour ses victimes, il fallait seulement que le travail soit fait.

- Tout s’est bien passé ?
- Sans problème.

La bourse avait été jeté sur la table en chêne massif avec une certaine nonchalance de la part de son client. Il avait un sourire satisfait esquissé sur son visage porcin. Cet homme dégouttait Althéa au plus haut point. Le ventre graisseux, le teint pourpre avec des veines qui parcourait son nez, il ressemblait bien plus à une outre à vin qu’à un humain. Pourtant l’assassin faisait en sorte de ne rien laisser paraître pour le moment. Et tandis qu’elle ramassait la bourse, il fit le tour de la table pour se rapprocher.

- Est-il vrai que vous venez de Zerricanie ? Demanda-t-il en laissant échapper son haleine aux relents de vin rouge.

Althéa n’avait pas l’intention de répondre et à dire vrai il n’avait pas vraiment l’air d’attendre une réponse, s’était plutôt un faux prétexte, un début de conversation amorcé uniquement pour pouvoir s’approcher d’elle bien trop près à son goût.

- Je n’ai pas de temps à perdre en bavardage, j’ai un autre contrat qui m’attend, répondit-elle d’un ton glacial.
- Allons, prenez un peu de repos, vous l’avez mérité, dit-il en tendant sa grosse main pleines de bagues vers le buste de l’assassin.

Il n’eut pas le temps de la toucher que le poignard de la brune lui tranchant la gorge. Il porta une salade de phalange à son cou avec l’espoir misérable de retenir le flot sanglant qui s’échappait de la plaie. Son corps lourd s’écroula sur le sol tandis qu’elle le regardait agoniser sans sourciller. Le client tentait d’articuler quelque chose mais de sa bouche ne sorti rien d’autre que des glouglous et du sang tandis qu’il lui adressait un regard à la fois surpris et furieux. Althéa vint à s’accroupir à ses côtés et d’un geste méticuleux elle essuya sa lame dans un pan de la veste de ce qui était à présent un cadavre. Puis elle prit l’une des bagues, celle qui portait le sceau de l’homme, gage de l’accomplissement de son second contrat. Voilà qui était une journée de travail rondement mené. Sans un mot elle fit volte-face et quitta la pièce, ne laissant derrière elle qu’une plume de corbeau que personne n’allait remarquer. Non, ceux qui allaient découvrir le corps serait simplement dans l’effroi, cherchant à savoir qui avait fait une chose pareille.

L’équidé à sa cavalière quittèrent Ban Ard au galop, il n’y aurait personne pour murmurer son nom et l’accuser d’avoir semer la mort ici-bas.