Thorunn soupira et passa son bras sur son front, essuyant la sueur qui avait un peu coulée. La journée avait été longue et il lui restait à tenir encore quelques heures avant le coucher du soleil. Elle inspira et remercia du regard son beau-père qui attendait patiemment qu’elle reprenne des forces. Les mains sur les hanches, le souffle court et la tête levée vers le ciel, elle prit une grande bouffée d’air puis étira ses bras endoloris par le labeur. Elle pensa à sa grande sœur qui était en train de se prélasser aux côtés de leur mère, sans doute à discuter de potions. Peu lui importait, elle se refusait à laisser son beau-père s’occuper de chauffer leur famille tout seul. La jeune femme se pencha à nouveau sur le tas de bois restant, attrapa une lourde buche et la déposa, non sans mal, sur le billot, se mettant encore un peu plus d’écorce et de mousse sur ses vêtements. Son beau-père abattit sa hache avec force et précision et les 2 morceaux de bois débités tombèrent de chaque côté, comme les dizaines d’autres avant eux.
Ils répétèrent l’opération encore quelques minutes. Thorunn vit du coin de l’œil un groupe de chasseurs revenir. Les plus jeunes parmi eux se chamaillaient et se bousculaient, ceux ramenant leur prise se moquant de ceux qui n’avaient rien pris. Elle savait d’ores et déjà que ce soir, cela serait un sujet de querelle de plus à la taverne et esquissa un sourire. L’un d’eux tourna la tête vers eux, fourra les quelques lièvres qu’il avait abattue dans les mains d’un de ses comparses, l’appela et se dirigea vers elle en trottinant. Il lissa ses cheveux en arrière d’un geste de la main.
« Thorunn laisse je vais t’aider » elle déposa la bûche à sa place et sans même le regarder, se tourna pour une prendre une nouvelle
« Pourquoi ? Parce que je suis une faible femme ? » Il leva les yeux au ciel et chercha à lui prendre des mains
« Non parce que tu es mon amie et que je souhaite juste t’aider »Elle fit un mouvement pour l’empêcher de lui prendre et esquissa une moue légèrement boudeuse
« Continue et je la laisse te tomber sur les pieds ». Alors que son beau-père semblait s’amuser de la situation, ce dernier tapa gentiment sur l’épaule de sa belle-fille.
« On a bien travaillé, tu mérites du repos » Il regarda le soleil, une main sur son front
« En plus si tu ne te prépare pas bientôt tu ne seras jamais prête pour aller à la taverne ce soir avant le repas »Thorunn essuya encore son front et massa ses avant-bras, puis elle frotta ses vêtements, faisant tomber un peu d’écorce. Elle finit par acquiescer
« Tu as raison, on finira demain ! Je vais aller me laver » Elle avait le visage sale, luisant de transpiration ainsi que plein de mousse dans les cheveux. Le jeune chasseur la regarda en la taquinant
« Ce ne sera pas du luxe ! » et alors qu’elle partait en trottinant elle lança à l’intention de son beau-père
« Je vais à la rivière ! »Le jeune homme la regarda s’éloigner, la bouche entrouverte, ses pensées caressant l’idée d’aller l’observer. Mais le beau-père de Thorunn se pencha, ramassa du bois débité et le fourra dans les bras du jeune nigaud, le regardant en fronçant les sourcils
« N’y pense même pas et aide-moi à empiler correctement tout ça » -
Thorunn avait marché d’un pas rapide en s’éloignant du village, une bassine en métal à la main avec à l’intérieur de quoi se laver et des vêtements de rechange. Elle souriait, heureuse de s’enfoncer un peu dans les étendues sauvages. Un bout d’un moment, elle entendit le clapotis de l’eau et ne tarda pas à apercevoir la berge de la rivière, sur laquelle elle avait l’habitude de venir pour se baigner ou se laver. Elle jeta la bassine près de l’eau, regarda autours d’elle rapidement et se déshabilla. L’air commençait déjà à se rafraichir en ce mois de septembre et elle sentit sa peau frissonner et se tendre. C’était vivifiant et elle adorait cette sensation.
Attrapant le linge avec lequel elle se frottait, elle descendit prudemment dans la rivière, l’herbe était glissante et la terre se dérobait facilement sous les pieds. L’eau était encore plus froide que le fond de l’air, elle leva la tête vers la montagne, regardant le sommet enneigé d’où devait venir la rivière. D’un coup elle s’enfonça dans l’eau, s’immergeant jusqu’au sommet du crâne. Elle en profita pour agiter la tête pour retirer la mousse puis se redressa, les cheveux collés à son visage, avec un petit air de chien mouillé.
Elle rigola toute seule, se dégagea les yeux et retira la mousse restante. À cet endroit, l’eau lui arrivait presque au nombril, elle s’étira un peu, se délassant un moment puis entreprit de se laver, frottant sa peau avec le linge mouillé, jusqu’à la rendre rouge. Quand elle aurait fini, il serait alors temps de s’habiller et de rejoindre la taverne du village. La chasse avait été fructueuse alors ce soir, comme à l’accoutumée, les villageois allaient partager un grand repas, arrosé de bières à foison. Elle n’aurait raté ça pour rien au monde.
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Thorunn était assise sur une table, à la taverne, les pieds sur un banc. Elle avait troqué sa tenue de garçon pour une robe blanche assez simple. Par-dessus venait s’ajouter un surcot bleu foncé, typique de Skellige, retenu aux épaules par deux broches aux motifs complexes piquées dans les bretelles. Ses cheveux étaient lâchés, entremêlés de tresses plus ou moins complexes, comme le voulait la tradition pour les jeunes femmes pas encore mariées. Elle jouait du luth, accompagnée par un homme munit d’un petit tambour. On pouvait sentir sa passion, presque palpable tant ses yeux brillaient. Thorunn chantait, souriante, regardant les personnes présentes avec tendresse. Elle rencontra le regard de plusieurs pécheurs.
Musique :
Les Capitaines - Cecile Corbel« Il sourit à la lune,
Elle est sa compagne d'infortune
Ce soir, si dans ses yeux on voit la mer
Souvent, c'est qu'il ne rêve que d'océan
De marins solitaires dérobés par la mer »Elle connaissait presque tous ceux présents et ressentait une vive affection pour la plupart d’entre eux. Elle aimait tellement sa vie sur cette île, dans ce village. Une vie simple et confortable. Même s'il arrivait souvent que des bagarres éclatent, cela amusait beaucoup Thorunn et elle n'était pas forcément la dernière à s'en mêler. Elle se demanda si elle allait finir sa vie ici, à chanter encore et encore pour apporter à ses voisins et amis, un peu de la paix qu’elle ressentait alors. La plupart du temps, elle interprétait des chansons qui parlait de la mer, de la nature, de la vie dans l’archipel. Cette fois elle avait choisi une chanson qui venait des Royaumes du Nord. Une barde de passage l’avait apprise à Thorunn, qui avait été touché de découvrir que des personnes vivant sur le continent ressentaient également l’appel de la mer. Elle ferma un instant les yeux et entonna le refrain.
« Les capitaines au long cours
Partent et jamais ne reviennent
Pourtant un jour j'aimerais qu'il m'aime
N'écoutez pas le chant des sirènes
Au creux des vagues »
Un paysan leva son verre dans sa direction en lui faisant un signe de la tête et il trinqua avec ses camarades. Ici on ne savait que trop le danger que ces sorcières des mers pouvaient représenter. Les femmes, elles, étaient affairées à cuisiner près du feu, les prises des chasseurs pour le repas qui allaient bientôt être servi.
« Des caravelles dans la tête
Un bateau aux voiles blanches pourquoi pas
Il lance des bouteilles à la mer
Parfois, il ne rêve que de là-bas
Sous le vent, droits et fiers
Cavaliers de la mer »
Les hommes buvaient, certains jouaient aux cartes, alors que des enfants jouaient avec les chiens dans un coin. Les jeunes hommes du village s’amusaient à des activités de leur âge, séduisant les jeunes femmes, plus par défi que par réel intérêt. Thorunn chanta encore deux fois le refrain avant que la musique ne s’arrête et que les applaudissements prennent le relais. Elle ria légèrement, toujours un peu gênée par l’enthousiasme des villageois.
Quand une jeune fille un peu frêle, légèrement plus petite qu’elle s’approcha, elle lui sourit chaleureusement en retour. Thorunn rougit à son compliment et se mit à rire avec douceur pour camoufler sa gêne.
« Merci c’est vraiment gentil. Je chante depuis aussi loin que je me souvienne. » Elle rougit de plus belle quand elle parla des skalds
« Oh j’adorerai devenir Skald ! » elle pencha légèrement la tête sur le côté, avec innocence
« Est ce que cela veux dire que tu viens de Kaer Trolde alors ? Je ne t’ai jamais vu par ici. »Elle détailla un peu l’enfant et fut subjuguée par ses yeux noirs et profonds. Elle l’invita à s’assoir sur le banc avec elle si elle le désirait
« Le repas va être servis, la chasse a été bonne, tu vas voir on va se régaler ! » Elle soupira de bien-être
« La nuit promet d’être magnifique »Elle se mit à rire encore, avec légèreté, sans jamais se douter que son destin allait se jouer sous peu.
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