[I.1 - Q.2] Mourir libre ou vivre esclave ?

Il n’y avait que le silence.
Et avec lui les charognards, affamés et avides, prêts à se jeter sur la première occasion pour sa survie la plus primaire. De combattants pour la liberté, leur groupe de scoia’tael étaient tombés dans le banditisme simpliste ; avec l’hiver qui approchait inexorablement, l’étreinte d’une corde invisible se resserrait peu à peu autour de leur cou. Le commando d’Edelweiss, en outre, avait quitté le confort de la Témérie en ruine pour redescendre vers le sud. Brugge, en outre, où ils étaient déjà passés voilà plusieurs années auparavant et où ils avaient bien failli perdre Edelweiss dans une embuscade de traîtres. Désormais, ils ne comptaient plus que sur eux-mêmes et cette fois, ils ne se feraient pas avoir. Mais là encore, la question des vivres imposait un silence de mort au groupe dès que le sujet revenait sur le tapis.

En laissant traîner des oreilles ça et là, on finit par apprendre l’existence d’une ruine au nord, et de supposés mouvements Nilfgaardiens qui ne sauraient tarder. Ceux-là, ils ne comptaient pas collaborer avec, mais ils n’ignoraient pas non plus quel genre de chaos l’armée sudiste pouvait provoquer. Ce genre d’atmosphère, ils savaient en tirer partie pour tirer leur épingle du jeu. Sans compter les rumeurs de convois de vivres qui, si elles s’avéraient vraies, pouvaient changer la donne. Laisser passer une occasion pareille, ce serait folie, alors aussi avait-on envoyé Edelweiss en éclaireuse avec pour instruction de rester prudente et d’observer pour le moment dans le but de déterminer la marche à suivre. Edelweiss avait enlacé frères et sœurs avant de partir ; elle n’ignorait pas le danger, bien qu’elle ne se faisait pas de soucis. Puis elle s’en était allée entre les taillis de la forêt, avançant vers le nord où le fameux castel devait se trouver.

Lorsqu’elle était arrivée à l’orée du sous-bois, il ne lui sembla pas entendre autre chose que la brise qui agitait les feuilles en hauteur et la pluie qui offrait une douce musique au paysage. Par ailleurs, elle ne vit pas de mouvement dans les parages ; mais ça ne voulait pas dire qu’il n’y avait personne. Il y eut deux voix au creux de son oreille : celle qui lui disait d’écouter les conseils de ses aînés et de se tenir à distance pour peu qu’un détachement de soldat passe par là et l’attrape, et l’autre qui lui hurlait d’aller enquêter plus loin, près des ruines, pour ne laisser aucun indice à part. Et il ne fut pas surprenant qu’Edelweiss, impulsive notoire, choisisse d’écouter la seconde. Ni une, ni deux, elle quitta la rassurante protection des bois pour marcher vers les ruines, arc en main par principe de prudence.

On dirait que le temps ne va pas s’arranger de sitôt, songea Edelweiss tandis qu’elle rapprochait de la forteresse en ruine. La pluie battait son plein tandis qu’elle avançait en silence, capuche rabattue sur la tête pour épargner l’eau à sa chevelure épaisse. Le tissu vert se fondait parmi l’herbe et le temps sombre qu’apportait l’orage. Mais celui-ci avait apporté un inconvénient de taille : le fracas de l’orage avait couvert les voix des soldats qui résidaient dans les ruines qu’elle croyait pourtant vides. Edelweiss avait tout juste eu le temps de se plaquer contre la pierre froide qu’une silhouette au-dessus était apparue pour observer l’horizon. Réalisant tout juste son erreur, l’elfe comprit qu’elle était dans une impasse. Si quelqu’un la remarquait, elle ne se donnait pas longtemps pour se faire chasser comme une vulgaire proie, sans doute même se faire cribler de flèches alors qu’elle tenterait de s’enfuir. Mais peut-être qu’en faisant le tour …

Longeant de près la paroi protectrice, Edelweiss fit quelque pas avant de finalement s’arrêter là où la muraille semblait s’être effondrée voilà déjà un moment de cela. Edelweiss jura en silence, se retournant à nouveau en serrant son arc contre elle tandis qu’elle s’imaginait les milles et une remontrances que lui ferait le reste de son commando … si elle s’en sortait vivante. Parce qu’elle n’était pas complètement idiote : elle le réalisait, à présent, qu’elle s’était jetée tout droit dans la gueule du loup. Tout ça pour quoi, au final ? Des vivres qui n’existaient peut-être même pas. Si un des soldats la remarquait, elle ne donnait pas cher de sa peau.

Edelweiss pouvait entendre deux sons distincts ; une voix au loin et un bruit de pas plus près. Le danger le plus imminent, sans aucun doute. Son cœur s’était mis à battre furieusement contre sa cage thoracique tandis que le bruit ténu des pas s’éloignait progressivement, la laissant seule à nouveau contre la muraille. Le souffle court, les yeux écarquillés, Edelweiss attendit un instant avant de se pencher un peu près de l’éboulement, la moitié de son visage caché derrière la pierre froide afin de jeter un coup d’œil à ce qui se passait dans l’enceinte des ruines. La mauvaise nouvelle était qu’il y avait des gens postés non loin. La bonne étant qu’ils n’étaient que deux. Elle avait un choix à faire ; pour elle, pour sa famille aussi …

Rebrousser chemin était difficilement une option à présent, et tenter une percée dans le campement était trop risqué avec les deux qui stationnaient tout près. Elle ne pouvait pas attendre là indéfiniment, par question de sécurité principalement. Mais aussi, au fond, il y avait la faim qui lui tordait le ventre. La faim qui le tenaillait depuis des jours et qui l’avait amenée à se montrer aussi imprudente. Avec un peu de chance … elle pourrait repartir de là avec des provisions.