Le chant des marais » joachim b.

Quelque part non loin de la Yaruga, 18 novembre 1265 ;
L’aurore, le point du jour, la chaleur du soleil, puis enfin le crépuscule sur l’horizon. Voilà ce qui faisait d’une journée, une journée. Certaines pouvaient se commencer à merveille et mal se terminer. En cette saison, elles étaient toutes une peu les mêmes, humides, grises et venteuses.

Du soleil, il n’en restait plus qu’un indice vague dans le ciel, une trace lumineuse incertaine qui ne cherchait même plus à lutter contre la nuit. Lovée à l’orée d’un bois, une grange en sale état tentait à disparaître dans les contours flous des arbres décharné. La silhouette de plusieurs chevaux trahissait une présence humaine en ces lieux. A l’intérieur, une lueur vacillait au gré des courants d’air.

L’endroit devait être abandonné depuis longtemps, le bois y était pourris par endroit, le plafond était un souvenir de quelques planches vermoulues. Le bruit d’une plume sur la surface d’un parchemin laissait entendre la présence de quelqu’un assis derrière une table. A la lueur d’une bougie, il finissait de rédiger quelques notes à la hâte. Quelqu’un vint frapper avant d’entrer dans la pièce.

- Il est prêt, annonça la voix sous cape.

L’inconnu relut ses quelques notes avant de rouler soigneusement le parchemin et de le glisser sous sa cape. Après quoi il souffla sur la bougie avant de se relever. La porte se referma sur la pièce vide. Le pas des deux hommes agita quelques peut les chevaux présents le long de la grande qui tournaient la tête dans leur direction pour voir de quoi il s’agissait. Bien vite ils retournèrent au calme tandis que les deux silhouettes s’engouffraient discrètement à l’intérieur du bâtiment.

Quelqu’un était suspendu dans le vide, attaché solidement par les poignets, au dessus d’une cuve dont il était difficile de savoir ce qu’il y avait dedans à cause de l’obscurité. Une torche s’enflamma soudain, éclairait les mûrs d’une lumière orangée, tremblante. Une main gantée en tenait le manche, l’approchant quelque peu en direction de l’homme attaché là. Tout n’était qu’ombres, la réalité se faisait difforme et incertaine. L’un des hommes ôta sa capuche pour se découvrir. Il avait une allure bovine, s’alliait avec une carrure déjà massive. A n’en point douter il avait l’œil noir et vif de celui qui avait toutes les cartes en main.

- Sorceleur, dit-il de sa voix grave et chaude pour éveiller l’attention de l’homme attaché.

Il y avait déjà quelque chose de mielleux dans son ton, un quelque chose qui n’inspirait pas la moindre confiance. Il le savait, il en jouait. Un sourire mesquin venait lentement s’esquisser sur le bord de ses lèvres, déformé par les flammes qui léchaient la torche. C’était un spectacle étrange, un de ceux qui se jouaient bien trop souvent dans ce monde ici-bas. Dans tous les cas, l’homme était peu enclin à lancer quelques tirades dignes d’un bandit de bas-étage. Il aurait pu dire mille et une choses pour signifier son plaisir d’avoir enfin pu trouver le sorceleur, il ne le fit pas. A dire vrai, il appréciait l’instant, savourant la mise en scène de ce moment.

Son regard noir détaillait le faciès du sorceleur qui lui faisait face, il n’en voyait qu’une esquisse assez grossière à la lueur de la torche, mais cela était amplement suffisant. Ce dernier s’agita avant de se lancer dans un bavardage somme tout assez inutile mais représentatif du personnage qui cherchait à faire de l’humour dans une telle situation. C’était assez… commun. La suite le serait certainement, après tout il n’était pas là pour révolutionner le genre en termes d’enlèvements et de tortures, ce n’était pas le but. L’inconnu avait bien d’autres aspiration pour ce sorceleur de l’école du Chat. Aussi continuait-il à observer le silence, pleinement conscient qu’il n’était pas là non plus pour satisfaire son interlocuteur. Puis finalement, un sourire un peu plus prononcé étira la commissure de ses lèvres. Un sourire qui allait de paire avec un regard qui laissait à penser que l’homme avait une idée précise derrière la tête et que tout ce que pourrait dire le maître sorceleur n’aurait aucun impact sur la suite des événements.

Il n’irait pas le menacer, il n’irait pas non plus batailler pour lui faire perdre ce visage un peu idiot et ses envies de boutades douteuses. Non, il savait qu’il allait les perdre de lui-même lorsqu’il aurait entendu ce que l’inconnu avait à lui dire.

- Maître sorceleur, j’ose croire avec un certain ravissement que votre langue est aussi aiguisée que vos lames, répondit-il simplement. J’ose croire également que votre intelligence est à la hauteur de votre talent, et ce malgré le paquet grotesque dans lequel vous avez emballé tout cela.

La première salve de piques venait d’être lancée, néanmoins il ne semblait pas vraiment attendre de voir si cela aurait un effet quelconque sur le captif. L’objectif était ailleurs. L’inconnu écarta quelque peu les pans de sa cape pour laisser apercevoir une armure sombre qui ne seyait à personne dans les Royaumes du Nord, attrapant au passage un plis qui y était caché. Il décacheta ce dernier pour le lire à la lueur des flammes, parcourant le parchemin avec attention. Un fois cela fait, il l’approcha de la flamme mais s’arrêta à quelques centimètres de celle-ci. Son attention se porta de nouveau sur le sorceleur.

- Au fait, comment va votre sœur ? demanda-t-il, Nunzia Morolla Bellegarde c’est bien cela ? Une femme charmante. Vous avez de la chance d’avoir une adorable famille, ce n’est pas le cas de tous les sorceleurs. Quelle tragédie ce sera le jour où elle quittera ce monde, n’est-ce pas ? Mais elle vous laisse une belle descendance.

Sur ces mots, il s’approcha du sorceleur et du bac rempli d’une substance encore inconnue pour le moment, dardant sur l’homme un regard froid alors même qu’il continuait de sourire. Mais ce dernier tomba bientôt dans l’oubli, ne laissant plus qu’un faciès sans la moindre once d’humanité. Il était pareil à un fauve de Zerrikania, prêt à fondre sur sa proie pour lui éventrer les flans à coup de griffes pour lui mettre les tripes à l’air, à lui arracher la gorge en refermant ses crocs dessus pour empêcher la moindre retraite. Une véritable souffrance à infliger à un être encore conscient. Mais il finit par reculer, tenant toujours le pli dans une main pour retourner au côté de l’autre homme qui tenait la torche.

Il avait suffit de peu pour attirer toute l’attention du Sorceleur. Tout du moins c’était une façon de parler, le Nilfgaardien avait seulement usé d’une méthode plutôt efficace sur cet individu. Bien, ils allaient ainsi pouvoir parler entre adultes, même si l’un des deux était loin d’être consentant. Ce n’était qu’un détail avec lequel il ne fallait pas se formaliser. Que voulait donc cet enfant du Sud ? Là était toute la question et tout l’intérêt de cette rencontré nocturne.

- Je veux que vous me soyez redevable d’épargner votre famille, répondit-il dans un premier temps sans chercher à faire durer le suspense davantage. De ce fait vous avez une dette envers moi. Une dette qu’il vous faudra payer un jour et de la façon qu’il me plaira. Il va s’en dire que vous ne pourrez la refuser, au risque de voir votre héritage balayé par une simple lettre adresse au Duché de Toussaint ainsi qu’à l’empereur lui même.

Puis il agita le plis qu’il avait décacheté, celui là même qu’il avait lu à la lueur de la torche avec la volonté de le brûler. Chose qu’il n’avait pas fait, tout en omettant de préciser la nature de la lettre. De nouveau il la parcouru tout en faisant les cents pas, la paille craquait sous la semelle de ses bottes. Puis il s’arrêta pour porter son attention sur le sorceleur.

- Nous, Emhyr var Emreis, Deithwen Addan yn Carn aep Morvudd, empereur de Nilfgaard, accordons au domaine de Bellegard ainsi qu’à sa descendance toute notre protection, et cetera, lu l’homme sans plus daigner à entrer dans les grandes lignes du document. Voilà en substance le pli qui pourrait sauver le nom de Bellegarde et permettre aux vôtres de couler des jours paisibles sans même savoir qu’il y eut un jour une épée au dessus de leurs têtes.

Sans doute des rois tels que Foltest ou Vizimir auraient-ils rédigé quelques lettres pour s’assurer l’affection de leurs sujets ou accorder un quelconque protectorat comme l’avait accepté le roi Venzlav de Brugge avec la reine Calanthe de Cintra, puis avec la Téméria à la mort de cette dernière. Mais il suffisait de regarder les rois Demawend d’Aedirn et Henselt de Kaedwen pour se rendre compte à quel point les têtes couronnés du Nord n’avaient que peu de parole, moins encore le sens de l’honneur. Sans doute le prochain roi de Redanie, Radovid, serait-il le plus honnête de tous, quand bien même il possédait déjà la réputation d'être sévère pour son jeune âge.

Ce que l’homme de l’empire proposait était tout simplement un pacte avec le diable. Mais l’on disait souvent que les sorceleurs avaient déjà vendu leur âme pour devenir des mutants, alors ce marché ne devrait pas être trop difficile à passer pour le natif de Toussaint. Ainsi replia-t-il soigneusement le pli pour le ranger dans un recoin de son armure. Le geste était difficile à percevoir dans la pénombre, mais tel un chat il était certain que le prisonnier pouvait y voir bien plus claire que les hommes ici présent. Chaque geste ne laissait point de place au hasard.

- Ne le prenez pas personnellement cependant, vous ou un autre de vos collègue aurait parfaitement pu faire l’affaire, le destin aura voulu que ce soit vous, dit-il une fois l’attention reporter une énième fois sur le captif.

Le Nilfgaardien se faisait honnête, c’était une des rares fois que l’on pouvait l’entendre parler ainsi, sans chercher à faire de l’humour là où Ethain de Cidaris était déjà parvenu à s’attirer les foudres des druides. Il n’y avait que les souverains pour oser pareille idiotie, à pareille folie. Il n’y avait qu’à regarder l’histoire du royaume de Kerack pour s’en rendre compte, de son premier roi Osmyk et sa ligné de saltimbanques – à l’instar de l’un de ses descendants, Viraxas – à son annexion par les royaumes voisins. L’homme se faisait plus intelligent et usait bien volontiers du cynisme et du sarcasme que la noblesse ne pouvait pas toujours comprendre.