Mortecouille ! (solo)

Que Freyja bénisse les braies de fin coton qui permettaient à la sorceleuse de se baigner dans cette rivière sans craindre qu’on vienne la reluquer ! Après avoir dormi presque plus d’une journée, elle n’avait pas osé demander à la femme qui l’avait accueillie quelques jours plus tôt un bain, ne souhaitant pas s’attarder plus longtemps dans ce foyer si paisible, de peur que le mal l’y poursuive … Skadi s’était simplement accordé une toilette sommaire, prévoyant de s’arrêter sur sa route pour La Valette où elle comptait bien s’accorder un ou deux jours dans une auberge. Par chance, et ce n’était pas là un mauvais jeu de mot, le mercenaire qui lui avait sauvé la vie avait aussi eu la présence d’esprit de récupérer son cheval. Une vraie chance, oui.

Elle était donc là, dans cette rivière, à se décrasser du mieux qu’elle pouvait, afin de ne pas passer pour une vagabonde lors de son entrée à La Valette. Elle ne voulait pas s’attirer plus d’ennuis qu’elle n’en avait déjà eu, et elle savait que sa démarche claudicante ne jouait pas en sa faveur pour la faire passer inaperçue. Un peu de propreté l’aiderait sûrement à obtenir une chambre avec une paillasse correcte, pour sûr. Enfin, tout ne se passa pas comme prévu … Il faut dire que la jeune femme avait eu la mauvaise idée de laisser ses vêtements et ses pièces d’armure à vue, et ce n’est que lorsqu’elle entendit son cheval hennir et le bruit de plusieurs chevaux qu’on lançait au galop qu’elle comprit que le destin n’avait pas fini de jouer avec elle.

« Mortecouille ! »

Comme si cela ne suffisait pas, elle glissa sur des cailloux vaseux et s’étala de tout son long dans les orties qu’elle avait pris un grand soin à éviter tout à l’heure. « Diantre ! » Au moins, les bandits ne s’étaient pas approchés assez de la rivière pour prendre ses épées et ses bottes. Voilà qui était généreux ! Elle remit donc ses bottes, enserra sa taille de la lanière de cuir qui supportait les deux fourreaux de ses épées, et si mit en route, non sans un concert de jurons qui ferait pâlir un prêtre du Feu Eternel. Quelle allure avait-elle ! On aurait dit une catin sortie tout droit d’un champ de bataille …

La démarche boitillante, elle s’engagea sur la route, espérant qu’un chariot s’arrêtera pour lui venir en aide. Ce ne fut pas le cas, et elle mit bien cinq heures pour atteindre la ville. Le jour était loin d’être tombé, au contraire, et tout le monde put admirer sa magnifique toilette qui en laissait voir bien plus que ce que la décence autorisait dans les rues. Au lieu de se diriger vers l’auberge la plus chère, comme elle l’avait prévu plus tôt dans la journée, elle prit le chemin des rues les plus mal famées du coin, car là-bas, elle serait sûre de trouver ce qu’elle cherchait. Ce fut bien plus facile qu’elle ne le pensait, car elle découvrit assez vite son cheval attaché devant un tripot avec d’autres montures. Elle défonça la porte d’un coup de pied énergique avec la seule jambe à peu près valide qu’elle avait, épée d’acier au poing, une flamme de fureur dans le regard.

Ce qui suivit restera le combat le plus étrange que Skadi eut mené jusqu’ici. Elle était mal en point mais la rage la propulsait en avant, lui faisait abattre son épée sans aucune pitié, tranchant dans la chair, couvrant ses dessous de sang. Qui viendrait à regretter ces impostures d’homme, qui volaient les dames pendant qu’elles faisaient leurs ablutions ? Peut-être les effraya-t-elle car après avoir occis deux d’entre eux grâce à l’effet de surprise, les autres rendirent les armes. L’un d’eux lui jeta ses effets et tous prirent la poudre d’escampette sous le regard dédaigneux de la jeune femme. N’ayant que faire des badauds encore présents, trop effrayés pour bouger d’un pouce, elle se revêtit, puis passa le pas de la porte, enfourcha son cheval et prit la route pour Oxenfurt, car mieux valait ne pas passer plus de temps ici … Et cette fois, pas question de s’arrêter en chemin pour jouer aux nymphes dans les ruisseaux !