« Elle était là il y a très longtemps, dans sa forêt de malheur, à faire sa magie noire et danser avec les goules. Allez savoir pourquoi elle partie ; peut-être pour voir du pays, ou parce qu’elle s’ennuyait. Bah, pour c’que j’en sais, moi ... On va pas s’plaindre, nous autres, elle avait le meurtre facile cette sorcière démoniaque. » -
Un paysan d’Aedirn***
Le vent soufflait fort lorsqu’Ariette quitta la maison au toit de chaume. Ses petites mains graciles tenaient fermement le seau, toute tremblante à l’idée d’aller
là-bas, là où les ombres se gaussaient d’elle, l’observaient en ricanant. Petite fille fragile, c’était pourtant à elle, comme tous les jours, d’aller chercher l’eau au puits. Se pencher dangereusement sur la pierre glacée, tirer sur la cordelette pour y accrocher son seau. Elle devrait ensuite, à la force de ses petits bras de poupée, ramener l’eau à la maison sans en verser une goutte, où sinon ‘Pa sortirait le martinet. Il avait en horreur, et ça elle l’avait bien compris les premiers jours, le travail mal fait. Pourtant quand lui s’en chargeait et ramenait une moitié déplorable, il ne fallait piper mot. ‘Ma une fois lui en avait la remarque ; elle ne recommença plus jamais.
Traînant du pied, la fillette fait son chemin à contre-courant, bravant le vent glacial qui lui mordait les joues comme un chien enragé, sifflant dans ses oreilles, la poussant brutalement comme ces garçons rustres qui se pourchassaient dans la boue du village. Elle n’aimait pas ces jeux brutaux, pleins de mauvaises moqueries et de violence d’enfant. Un jour avait-elle fait part à ‘Ma de ce sentiment ; celle-ci lui avait ri au nez. Un jour ma fille, lui avait-elle soufflé, t’en épouseras un pour peu qu’tu sois pas trop laide. Les hommes, ça aime pas qu’on leur tienne tête. Apprend donc à fermer ton clapet, et va donc jouer avec la belle poupée qu’ton père t’a ramené de la ville.
Ce conseil, elle ne l’aimait pas trop. Il lui semblait un peu grossier, pas vraiment à son goût. Pourtant elle n’avait pas répliqué. Elle avait, comme lui avait intimé ‘Ma, joué avec sa jolie poupée, lui inventant des histoires merveilleuses que seule elle acceptait d’entendre. Il n’y avait bien qu’une poupée pour s’intéresser aux piaillements d’une enfant.
Le puits, au bout du chemin crasseux, se dresse comme une tour qu’elle craint de devoir escalader. Pourtant, elle ne s’y avance pas comme elle le faisait toujours. Elle ne grimpa pas sur la petite pierre qu’elle avait installé pour s’y percher. Quelqu’un d’autre se tenait là, tout près, penchée silencieusement sur le rebord du puits. La demoiselle lui tournait le dos, pourtant Ariette l’entendit prononcer d’une voix claire : « Viens, viens, approche donc. Dis-moi ce que tu vois. » Toute intimidée, la fillette obéis sagement à la demoiselle qui pourtant n’a pas l’air bien plus vieille qu’elle ne l’était. Son visage, dissimulé derrière une mèche blonde lorsqu’Ariette la contourna pour se placer à côté d’elle, était penché vers le fond du puits. « Regarde. Que vois-tu ? » Répéta la demoiselle sur un ton qui ne trahissait aucune émotion. Elle sonna froide, presque inhumaine.
Ariette, poussée par une curiosité insatiable, se hissa sans dire un mot. Elle se pencha face à l’eau pour pousser presque dans l’instant un cri de terreur. Au fond cherchait désespérément à grimper Rolf, le fils du forgeron. « Mais pourquoi ne l’aide-tu pas ? » S’écria la fillette d’une voix stridente. « Pourquoi l’aiderai-je ? C’est moi qui l’ai poussé. » La demoiselle se tourna vers elle, lui offrant ses yeux noirs, comme la nuit, comme les ombres qui ricanent. Ariette sut. Sut qu’elle n’était pas humaine ; qu’elle était mauvaise. « Mais … Pourquoi ? » « Y’a-t-il vraiment besoin d’une raison ? Je sais qui il est, je l’ai observé. Toi, tu l’as vu tuer ce lapin l’autre jour. Tu sais quel genre de monstre il est. Beaucoup sont comme ça, hommes ou femmes. Mais toi je te sens différente, c’est pour ça que je t’ai observée. Regarde-moi. Regarde-le. Oui, comme ça. Vois, il t’appelle à l’aide comme un chien, car il sait déjà que tu ne l’aideras pas de bon cœur. Tu hésites. C’est bien. Moi je n’hésiterai pas. Je le laisserai pourrir, lui lancerai même des pierres pour l’achever. Car tu le sais. Il t’attendait. Tu sais aussi ce qu’il avait en tête. Oui, c’est bien. Traite-le comme il t’aurait traité. L’indifférence te sied si bien. Veux-tu mon aide pour porter cette lourde pierre ? Non ? Tu sembles encore hésiter. Non, n’écoutes pas ses suppliques. Il n’y a qu’à ce moment qu’il te montreras du respect. C’est si frustrant : tout le monde te manque de respect. Ah, ainsi tu prononces ta sentence. Ne veux-tu toujours pas de mon aide pour cet énorme cailloux ? Soit, tu te débrouilles. Oh, regarde, il pleure. Aurait-il la même empathie à ta place ? Allons, lâche la pierre. Ce sera pour toi le glas de la liberté. Ah … Voilà. Il ne bouge plus. Maintenant tu as le choix. Tu peux retourner chez toi, dire que tu as trouvé Rolf mort dans le puits. Tu reprendras le cours de ta vie, peut-être avec plus de lucidité sur la nature des tiens. Ou tu peux partir, sans regrets. Peut-être observeras-tu comme moi le monde, discerner toute la crasse de la nature humaine, voir les pires horreurs que peuvent engendrer les Hommes. Tu assisteras à leurs guerres stupides, à leurs intrigues, leurs coups-bas, leurs soucis moindres et leur ignorance amusante. Tu verras des gens s’inventer des raisons pour faire des choses horrible et se laver de toute culpabilité. Je souris, oui. Veux-tu savoir pourquoi, Ariette ? Parce que Rolf ne t’attendait pas. C’est moi qui l’ai attiré ici. Je lui ai demandé, comme je t’ai demandé à toi, de se pencher pour me dire ce qu’il voyait. Puis je l’ai poussé. Je savais que tu viendrais, car tu obéis docilement aux ordres qu’on te donne. Pourtant ça ne m’a pas échappé, toute la frustration qui bouillonnait en toi. Non, tu n’étais pas obligée de le tuer. Je ne t’y ai pas forcé. Or tu m’as écouté, tu t’es approprié mes mots pour te créer une excuse afin de libérer ta frustration. Tuer ce pauvre Rolf qui ne t’avais pourtant jamais embêté. Mais c’est tellement facile, n’est-ce pas ? De te dire « ce n’est pas moi, c’est la Bête qui m’a poussé à faire ça », de te voiler la face, de regarder cet enfant et de te séparer de toute empathie pour le tuer et te dire « ce n’est pas de ma faute ». C’est ce qui m’amuse tellement chez vous autres humains. Votre facilité à vous montrer si cruels. Pourtant sais-tu que dans peu de temps, on trouvera Rolf ? Sais-tu la douleur que connaîtront ses parents ? Non, tu n’y a pas pensé. Tu voulais juste te défouler. Tu es comme tous les autres que j’ai testé avant toi. Ah, tu crois que je t’ai influencée avec de la magie ? Sorcière, voilà un bien vilain mot. Peut-être ai-je fais ressortir ta véritable nature, mais je ne puis te pousser à agir contre ton gré. Tu es comme tous les autres, oui. Tu veux m’accuser, pourtant c’est toi qui a jeté la pierre. Ah … J’entends des voix au loin. Dans un instant j’aurai disparu et toi tu seras seule. Tu ne pourras plus essayer de maquiller ce que tu as fais. Adieu Ariette. Je croyais que tu serais différente, mais les tiens continuent de me fasciner autant qu’ils me dégouttent. Adieu oui. Ils viennent pour toi. »
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