De l'autre côté du miroir » chan'i m.

”Bon repos, Guerrier” murmura alors Chan'i en langue Zerrikane. De nouveau ses yeux s'étaient posés sur autre chose que l'homme. Compatriotes, avait dit Juan, la jeune femme ne portait pourtant que des moitiés de sang en elle d'un peuple comme de l'autre. Dans cette étrangeté, elle avait reconnu un compliment cependant, et l'esprit sagace de l'homme tendait à confirmer ce que la magicienne pensait à quant à sa grandeur propre car l'homme était sombre et lumineux tout à la fois.
Quelque chose en lui portait la patte d'Ahmar, mais elle-même devait posséder cette empreinte à présent. Juan était autre chose qu'un homme de main, un sous-fifre, et Ahmar lui-même y prêtait une valeur certaine.
La magicienne tournait les yeux vers le plus haut gradé alors que le cadet s'était éloigné. ”Il deviendra plus qu'un bon orateur, mais vous le savez déjà. Du moins s'il est assez sage pour ne pas s'enliser dans ses propres défauts. Le monde est injuste avec vous, les hommes, car votre vie bien brève ne vous laisse pas le temps pour cela...” En conséquence, le coeur des hommes n'en devenait que plus noir et fermé, prompt aux jugements et aux morales douteuses, strictes.

Un instant, la magicienne songea au miroir à nouveau, à son reflet à elle d'enfant égaré, maltraité. Et que venait de lui offrir Ahmar si ce n'est un compagnon de jeu? Un coup intelligent, elle n'en attendait pas moins de l'homme. ”Je veillerai sur lui à ma manière, ce serait pitié que son destin ne s'accomplisse pas.” Être tendre, cela se réapprenait parfois. Les yeux de Juan semblaient promettre des choses pareilles. Les femmes devaient tomber bien facilement à ses pieds, mais Chan'i savait être une moitié de rien associée à une autre moitié de rien, pas une femme au sens propre comme l'entendaient les hommes.
Beaucoup de magiciennes utilisaient la magie pour cacher leurs difformités, et Chan'i respectait cela, savait le courage que cela demandait. Sa difformité à elle, c'était le sang, cela ne se cachait pas...
”Les hommes vont vous savoir sans magicienne bientôt” reprit-elle à l'intention d'Ahmar. ”M'envoyer au loin pour servir vos dessins est peut-être votre plan depuis le début, ils l'oublieront, prendront cela pour de la faiblesse, voudront vous tester encore” Et tout tournait autour du sang, n'est ce pas? Parce qu'il n'était pas humain entièrement, parce qu'il n'était pas bleu pour celui voulant porter galons, le sang, que de mensonges en son nom. ”Vous savez comment me contacter pour les instructions qui ne doivent pas venir jusqu'aux oreilles de votre protégé” Peut-être Ahmar en aurait-il, Chan'i ne savait pas.
Le général la salua d'un signe de tête bref, militaire, et Chan'i lui répondit d'une révérence simple. Son regard se tourna ensuite jusqu'au ciel comme pour y chercher d'autres secrets. Il n'y avait que le vide...
La magicienne quitta l'extérieur à son tour. Entre les murs, elle sentait la présence du miroir comme un coeur étrange dont elle écoutait les battements. Le miroir l'avait montré enfant, frêle, martyrisée et traumatisée. Une petite fille dont il était difficile de se méfier presque.
Le miroir, Chan'i en était la créatrice cependant, et aucun enfant même dans un corps d'adulte ne possédait assez de noirceur en lui pour cela. Il y avait toujours des mensonges quelque part, Ahmar le savait, Juan aussi certainement. Elle était cette petite fille de son reflet, elle était autre chose aussi, d'autres choses, d'autres bouts de personnes. Quelle ombre de Chan'i se révélerait à Cintra? La magicienne ne pouvait savoir encore...